Les conditions fixées par l'Union Européenne, le FMI, la Banque Mondiale et l'OMC pour octroyer des prêts à la Tunisie (suppression des barrières douanières tarifaires et non tarifaires, ouvertures du marché des capitaux, privatisations et pas de libre circulation de personne) sont extrêmement contre-productives : Le marché ne peut -que dans de très rares cas et dans des espaces (géographique ou professionnel) réduits- se substituer aux administrations en un claquement de doigts.
Joseph Stiglitz ne disait-il pas en ce sens, « Une des raisons pour lesquelles la main invisible est invisible, c’est peut-être qu’elle n’existe pas. » (« Quand le capitalisme perd la tête », 2003). N’a-t-il pas aussi fustigé avec force dans ce même ouvrage les lobbies de tout poil, particulièrement ceux liés aux groupes pharmaceutiques, pétroliers et numériques, qu’il accuse de défendre « des intérêts industriels et non pas ceux de l’humanité » ?
1/ Risque d’émergence d’oligarques corrompus
Aussi, les orientations ultralibérales (ALECA, nouveau code d’investissement, réforme du statut de la BCT,…) qui caractérisent les choix de l’actuel gouvernement ainsi que les ventes massives d'entreprises publiques et des terrains domaniaux (propriétés de l'Etat) pourraient être à l’origine de l'émergence d'oligarques corrompus qui n'ont aucun intérêt à promouvoir un Etat de droit.
L’exemple Russe au début des années 90 est un des nombreux exemples les plus édifiants des dégâts du libéralisme tous azimuts : Contrairement aux prévisions des conseillers du FMI et du Trésor des Etats-Unis la privatisation n’avait pas conduit à la croissance et l’investissement mais à la chute de la production dans ce pays de l’ordre de près 35%.
Les privatisations rapides –notre cas aujourd’hui- avaient conduit en Russie à la corruption et à la constitution d’oligarques corrompus! J. Stiglitz relevait le fait que « Les sommes reçues par l’Etat étaient si faibles que la légitimité du transfert de ressources publiques au secteur privé a paru douteuse pour beaucoup. » (« Un autre monde : Contre le fanatisme du marché », 2006).
2/ L’Etat est un acteur fondamental dans la régulation économique
John Kenneth Galbraith (1908–2006, ancien conseiller de John Kennedy), dans ses derniers ouvrages, la « République des satisfaits » (1992) ou « Pour une société meilleure » (1996), fustigeait les conseils de Milton Friedman à Ronald Reagan qui étaient à l’origine, selon lui, de la montée des inégalités des revenus aux Etats-Unis et de la pauvreté. « La cause de la justice sociale, disait-il, n’est pas seulement juste, elle remplit une vraie fonction économique » (1996).
Il confère donc un rôle primordial à l’Etat dans la régulation économique. Pour lui, la lutte contre les inégalités et la pauvreté est une nécessité absolue car elle (la lutte) assure, outre la fonction économique, la cohésion sociale. Il serait donc préférable de marquer une pause dans les réformes actuelles pour s’interroger sur les conséquences sociales et industrielle de cette fièvre libérale qui traverse la Tunisie.
Certains ministres tels que Yacine Brahim ou encore Mohsen Hassen, pour ne citer qu’eux, pourraient constituer en effet, par leurs choix de politique économiques, une réelle entrave à notre cheminement démocratique.
Aussi, l'histoire ne nous enseigne-t-elle pas suffisamment sur le fait que : le dogmatisme idéologique va de pair avec l'autoritarisme politique. A se demander alors si les forces contre-révolutionnaires ne seraient-elles pas déjà à l'œuvre?
L’analyse de la folie des libéralisations des échanges des 35 dernières années montrent clairement que c’est les pays industrialisés et émergents qui en ont profité ; les pays du sud n’avaient pas grand-chose à vendre l’étranger à l’exception de leurs ressources minières. Au contraire, leur tissu industriel s’est désagrégé et leur structure économique s’est presque décomposée.
Ezzeddine Ben Hamida: Professeur de sciences économiques et sociales (Grenoble)