Lettre à Madame Souad Abderrahim, Présidente de la municipalité de Tunis : Rue Charles De Gaulle à Tunis, Une ignominie à l’encontre de nos martyrs

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Rue Charles De Gaulle à Tunis,
Une ignominie à l’encontre de nos martyrs

Madame la Présidente,
A chacun de mes passages rue Charles De Gaulle à Tunis, je me sens insulté, offensé, offusqué, pour cause : mon oncle le Sergent-chef Ahmed REGAYG, né le 20 avril 1936 à Msaken est décédé en martyr pour la patrie en juillet 1961 à Bizerte. « Jamais je ne quitterai mon champ de bataille tant que j’ai des munitions », tels sont les derniers mots prononcés par notre héros. Il a choisi donc la mort plutôt que l’abdication devant la force brutale de la puissance coloniale. Il a préféré la mort dans la dignité par orgueil pour la Tunisie.

Nombreux les héros tunisiens qui ont fait le même choix que mon oncle. Est-il raisonnable dans ces conditions d’attribuer le nom de leur bourreau à toute une rue au cœur même de Tunis ? Vous comprenez donc madame la Présidente le sentiment de colère, d’irritation et d’exacerbation qui envahissent les proches de nos martyrs à chacun de leur passage par cette rue.

Pis, Charles De Gaulle à Tunis dispose aussi d’une bibliothèque qui porte aussi son nom, au sein des locaux de l’ancien lycée Carnot.

Et pourtant, cet individu avait commis un abominable massacre en Tunisie lors de la Guerre de Bizerte en 1962. « De Gaulle estimait que l’affaire [de Bizerte] ne regardait pas les Tunisiens, elle était du ressort de la France seule » soulignait Béji Caïd Essebsi, in son ouvrage « Habib Bourguiba : Le bon grain et l’ivraie » (P.101, Sud Edition, 2009).

1/ « Nous pouvons pulvériser Bizerte et Moscou à la fois »

En effet, en marge du Conseil des ministres du 10 avril 1963, De Gaulle avait précisé à Alain Peyrefitte « (…), pour Bizerte c’est un problème que nous réglons unilatéralement. Il ne concerne que notre armée, en l’occurrence notre marine. Il n’est pas question de négocier avec les Tunisiens. Il faut leur apprendre à vivre, et aux autres à travers eux » (in C’était De Gaulle, Editions de Fallois / Fayard, 1994, P.414). Plus loin (P.415), le Général ajoute « maintenant, rien ne s’oppose à ce que nous partions. Nous commerçons à disposer d’engins nucléaires. Nous allons être capables de pulvériser Bizerte et Moscou à la fois. »

Cette disposition d’esprit n’est-elle pas typiquement coloniale ? Ne pose-t-elle pas la négation de la souveraineté tunisienne ? Comment peut-on dans ces conditions donner, au cœur même de notre Capitale, le nom d’une rue à un tel personnage ? Ne s’agit-il pas d’une ignominie à l’encontre de nos martyrs ? Ceci ne relève-t-il pas de la haine de soi ? Comment sommes-nous arrivés à ce point de petitesse ? Comment peut-on accepter et passer sous silence une telle trahison, abjection? Où sont nos intellectuels, nos historiens et nos activistes de tout poil pour dénoncer une telle indignité ?

2/ Chronologie de la tragédie :

« Pour la Tunisie, Bizerte même occupée reste une terre tunisienne, elle nous concerne et nous interpelle. S’il faut absolument l’arracher, nous l’arracherons et nous y mettrons le prix » disait Bourguiba (in BCE, P.101). «Pour Bourguiba, Bizerte n’était pas une affaire de prestige personnel mais un enjeu national» souligne Béji Caïd Essebsi (P.101).

En juillet 1962 Bourguiba engage une bataille politique pour l’évacuation de Bizerte. Des volontaires Tunisiens se massent aux abords de la base militaire française interrompant ainsi tout trafic entre ses divers éléments. La riposte française, à un tel acte de défiance, est foudroyante : appuyés par l’aviation et la marine, les parachutistes investissent la ville européenne et en profite pour élargir davantage le périmètre de l’occupation française. Résultat : plus de 1000 morts, intervention du conseil de sécurité, et condamnation de la France à l’ONU. Un traumatisme s'est emparé de la population et des familles des martyrs qui sont restés sans nouvelles de leurs enfants pendant près de 3 mois.

3/ Les massacres du 8 mai en Algérie :

De Gaulle, adulé dans son pays abject pour ses martyrs, avait donné aussi le 8 mai 1945 l'ordre de tirer sur des manifestants pacifiques en Algérie; le résultat fut une tragédie perpétrée dans tout le pays, particulièrement à Sétif, Guelma et Kherrata : plus de 45.000 morts! Ces manifestants ne réclamaient que leur émancipation de la force coloniale. C'est-à-dire la même chose qu'il exigeait lui-même pour son pays auprès des forces allemandes.

Pour finir, nous pensons qu'il est temps de remédier à une telle ânerie ! Il est urgent de rendre à nos martyrs leur honneur et de valoriser davantage nos sacrifices, abnégations et dévouement à la mère patrie.

La Rue qui fait l’objet de cet article doit porter le nom de un nos martyrs ou celui de la « La bataille de Bizerte ». Il faut lutter contre l’oubli ; il s’agit d’un devoir de mémoire.

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