COMPRENDRE LES GRANDS COURANTS DE LA PENSEE ECONOMIQUE

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L’analyse de la dette des Etats ne date pas d’aujourd’hui. D’ailleurs, l’économie s’est forgée en tant que science au milieu du XVIIIᵉ siècle pour traiter précisément de cette question. En effet, le Physiocrate François Quesney – Médecin du Roi- publie en 1758 un « tableau économique », dans le quel il détaille ses recommandations pour redresser les finances royales car les caisses se vidaient à vue d’œil. La France était engagée dans une guerre qui l’opposait à la Grande-Bretagne et à la Prusse. Les physiocrates ont constaté que le trésor britannique bénéficiait des taux d’intérêts inférieurs à la France car il a toujours honoré ses dettes. Ils plaident donc pour une vaste réforme agricole pour inciter les paysans à produire plus tout en prenant des mesures pour libéraliser le commerce et faciliter la circulation du blé. Il s’agit de mesures qui visaient donc à soutenir la croissance.

En 1774, la Caisse d’escompte fut créée, ancêtre de la banque de France, ce qui représente une garantie d’Etat aux prêteurs. Autant dire que le débat sur la gestion de la dette ne date pas d’hier ! Est-ce pour autant nous pouvons dire que les économistes ressassent les mêmes recettes depuis plus de deux siècles et demi ?

Trois grands courants structurent la pensée économique : Le courant libéral, Adam Smith son chef de file ; le courant marxiste et courant Keynésien.

Nous proposons de présenter succinctement les grands traits de ces trois courants afin que le lecteur non initié aux sciences économiques puisse en saisir les mécanismes et les enjeux pour mieux appréhender certains débats politico-idéologiques.

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1/ Le courant libéral :

« La consommation est l’unique but, l’unique terme de toute production »

A. Smith, Recherche sur la nature et les causes de la richesse des nations, 1776.

Le courant libéral, comme le montre le tableau ci-dessus, se compose de trois courants : Les classiques, les Néoclassiques et les néolibéraux. Entre ces trois courants les différences d'approches et d’analyses sont nombreuses. Cependant, elles partagent des convictions et des conclusions communes concernant le rôle de l'individu, l'efficacité du marché et la méfiance à l'égard de l'Etat.

1.1/ La primauté de l'individu rationnel : « l’homo economicus »

Les libéraux classiques partagent les conceptions propagées au 18ème siècle par les philosophes des lumières :

- Les hommes sont doués de raison : ce qui implique l'idée selon laquelle que les hommes sont des « homo economicus », rationnels, maximisateurs : les hommes prennent des décisions sur la base d'un raisonnement qui se veut pragmatique (calcul coûts-avantages) notamment dans le domaine de l'industrie et du commerce.

- Les hommes sont libres et égaux en droit : en d'autres termes, les hommes peuvent exercer librement leur volonté de contracter sur les marchés (contrat commercial, contrat de travail, ...).

Les libéraux Néoclassiques (NC) sont à l'origine d'une théorie de l'agent économique et du fonctionnement des marchés. L'individu dans la théorie NC est appelé "agent économique" qui est rationnel par hypothèse et qui cherche à optimiser la satisfaction qu'il retire des ressources limitées.

1. 2/ La supériorité de l'économie de marché

Les mécanismes de fonctionnement du marché sont supposés efficients. Le respect de certaines conditions de fonctionnement, telles que : la flexibilité des prix, à la hausse comme à la baisse, et la loi de l’offre et de la demande, permet d'obtenir une situation économique optimale. C’est le principe –la métaphore- de la main invisible qui régit le marché et qui explique son caractère autorégulateur. La somme des intérêts privés mène donc à l’intérêt général. Adam Smith, père de l’économie politique, disait, dans son œuvre majeur de 1776, « ce n’est pas de la bienveillance du boucher que nous attendons notre dîner, mais de son intérêt ». Par ailleurs, il curieux de savoir que l’expression la « main invisible » d’A Smith, qui a fait sa renommée, n’apparaît qu’une fois dans son livre !

1. 3/ L'Etat-Gendarme.

Dans la mesure où l'intérêt général est un produit de la multitude des intérêts individuels exprimés librement sur le marché, et non pas le résultat de l'action de l'Etat. Pour les libéraux, le rôle de l'Etat est limité par l'ordre spontané des marchés.

L'Etat-Gendarme a pour rôle de veiller au libre exercice des libertés individuelles sur le marché : liberté d'entreprendre, liberté contractuelle, droit de propriété (Laisser-faire, laisser-passer). L'Etat doit donc s’en tenir à ses fonctions régaliennes (la Police, la Justice, la Défense Nationale et l'émission monétaire).

1.4 / Actualité du courant libéral :

Ce courant s’est trouvé éclipsé pendant les Trente Glorieuse (1945 – 1974). Mais la crise du milieu des années 1970, révélant les limites des politiques keynésiennes, a contribué à le réhabiliter ; il a inspiré un certain nombre de politiques gouvernementale (Etats-Unis, Grande-Bretagne dès le début des années 1980). Sauf que la crise de 2008 a mis en exergue les limites des thèses ultralibérales : Privatisation, déréglementation et désengagement.

2/ Le courant Marxiste :

« L’histoire de toute société jusqu’à nos jours, c’est l’histoire de la lutte des classes », K. Marx et F. Engels, Manifeste du parti communiste, 1848.

L’œuvre de K. Marx a pour décor le milieu du XIXᵉ siècle : les économistes classiques qui l’ont précédé vivaient les débuts du capitalisme industriel, lui en connaît l’apogée. Cette période se caractérise par la dureté de la condition ouvrière, tant au niveau des conditions de vie que de travail. Le salariat n’est pas encore protégé par les lois sociales.

Pour ce père de la critique de l’économie politique, l'histoire économique est l'histoire de la lutte des classes. Les conflits sociaux sont inhérents à tout mode de production basé sur l’exploitation de l’homme par l’homme. Le capitalisme qui oppose le prolétariat à la bourgeoisie atteint le paroxysme des conflits de classes. On trouve ici les principes de la dialectique du matérialisme historique chez Marx. Autrement-dit, c’est les conditions matérielles (l’infrastructure) qui déterminent l’évolution historique de chaque société (la superstructure). La sphère économique détermine toutes les autres sphères : culture, idéologie, lois,…

Ce philosophe, économiste, sociologue et historien, entend montrer que la contradiction à l'œuvre au sein du capitalisme doit inéluctablement donner naissance au communisme. La démonstration de cette contradiction interne au système capitaliste repose sur une analyse de son fonctionnement économique et sur la théorie de la plus-value.

2.1/ La théorie de la plus-value : Une théorie de l’exploitation

Chez Marx, la seule source du profit capitaliste provient de l'extraction de la plus value.

Plus-value = Valeur de la production (nombre d'heures travaillées pour obtenir le produit) - Valeur de la force de travail (nombre d'heures nécessaires, payées, à l'entretien de la force de travail)
3h = 8h-5h.

Le capitaliste peut augmenter la plus-value
- en diminuant les salaires ;
- en augmentant le temps de travail
- en diminuant le temps de travail nécessaire à la réalisation d'un produit donné (gains de productivité) par l’introduction du progrès technique.

La théorie de la plus-value est donc le fondement de la lutte des classes. En effet, une société reposant sur un tel système économique connaîtra toujours des conflits :

- Concernant le temps de travail et le salaire,

- Mais aussi la légitimité ou non qu’a un homme d'acheter le travail d'un autre homme.

Pour cet Allemand, la plus-value n'est pas un vol. Ce qui est fondamentalement injuste, c'est qu'un homme puisse exploiter un autre homme en lui achetant, même à son juste prix, sa force de travail. La théorie de la plus-value est donc aussi une théorie de l'exploitation.

2.2/ L’aliénation des travailleurs :

Le concept d’aliénation est central dans l’œuvre de Marx, du moins dans la première partie de ses travaux. Cette aliénation est de trois ordres :

- L’aliénation religieuse : la religion est le reflet de l’impuissance des hommes à gouverner leur destin : c’est « l’opium du peuple ».

- L’aliénation politique, qui provient de ce que l’Etat et la bureaucratie sont séparés de l’individu. Dans le système capitaliste l’Etat n’est pas au service de l’intérêt général ; il est un organisme de domination au service de la classe des capitalistes.

- Et l’aliénation économique par le travail : le travail est une nécessité, le l’ouvrier (le prolétaire) cherche à travers lui à satisfaire des besoins primaires, qui ne reflètent pas sa nature humaine : manger, boire, se vêtir,… L’argent aliène parce qu’il transforme un bien réel en une valeur abstraite à l’aune de laquelle tout est pesé, évalué, disséqué. Il crée des besoins artificiels, affirme Marx, qui rendent dépendant l’homme.

2.3/ Les derniers bastions du Marxisme

Quelques pays dans le monde se réclament encore du marxisme : la Chine, le Vietnam, la Corée du Nord et Cuba. Et pourtant, si on regarde de plus près, nous constaterons que c’est plutôt la version mise au point par Lénine et Staline, le marxisme-léninisme, qui domine. Cette version se caractérise par le parti unique censé être l’incarnation de la dictature du prolétariat. Toute contestation est violement réprimée. Le bureau politique du parti décide de tout et constitue avec la les autorités policières, militaires et administratives.

Cependant, le système a évolué dans des directions différentes. Ainsi, la Corée du Nord, et dans une moindre mesure Cuba, restent figés dans le stalinisme des années 50. En revanche, en chine et au Vietnam, l’introduction du « socialisme de marché » et la modernisation a marche forcée ont permis d’abandonner partiellement le collectivisme collective au profit d’un modèle mi-capitaliste, mi-communiste. Le parti unique reste malgré tout la référence !

3/ Le courant Keynésien :

« Les deux vices marquants du monde économique où nous vivons sont le premier que le plein emploi n’y est pas assuré, le second que la répartition de la fortune et du revenu y est arbitraire et manque d’équité » J.M. Keynes, Théorie général de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie, 1936.

Bien avant la grande crise des années 1930, Keynes perçoit l’instabilité du système économique et l’inexistence de mécanisme autorégulateurs. En ce sens, il s’oppose aux auteurs classiques qui se réfèrent à la loi de J.B. Say (″Toute offre crée sa propre demande, il ne saurait y avoir de surproduction majeure et durable ″). Il considère que cette loi n'est pas crédible, car elle ne correspond qu'au cas particulier - et peu vraisemblable - où l'épargne serait entièrement transformée en investissement.

Il fallait donner une réponse rapide et pratique aux démocraties européennes pour contrer le double péril que représentaient Hitler et Staline. Cela l’amène à proposer une approche se distinguant radicalement de l’approche classique :

-Par son caractère d’emblée macro-économique (l’approche classique étant microéconomique)

- Par son raisonnement en termes de circuit (les dépenses des uns –consommation et investissement – sont les revenus des autres) dans lequel la monnaie et les taux d’intérêt jouent un rôle fondamental (une hausse de la masse monétaire accroît les revenus et stimule la demande) ;

- Par la prise en compte de l’incertitude des anticipations, source d’instabilité des comportements d’investissement.

3.1/ Le marché du travail :

En ce qui concerne plus précisément le marché du travail, l'approche de Keynes se démarque radicalement de l'analyse classique. Pour cette dernière, le marché du travail est un marché comme un autre et toute la main-d’œuvre disponible doit normalement trouver à s'employer (si l'on excepte le ″chômage frictionnel″). S'il y a pourtant du chômage, c'est soit du fait des travailleurs eux-mêmes, qui refusent le salaire qu'on leur propose (arbitrage entre oisiveté et travail), soit du fait des imperfections du marché du travail. Bref, le chômage ne peut être que volontaire.

Keynes montre au contraire que c'est l'insuffisance de la demande qui pousse les entreprises à ne pas offrir d'emplois en nombre suffisant pour absorber toute la main-d’œuvre disponible, s'arrêtant à un équilibre de sous-emploi. Le chômage est ainsi largement subi, il est « involontaire ». C'est donc la demande - et non l'offre - qui pour Keynes est le déterminant principal du niveau d'activité économique et d'emploi.

Cette demande est «effective », c'est-à-dire anticipée par les entreprises, qui ajusteront sur elle leurs prévisions d'activité et d'embauche. Elle se compose de la demande intermédiaire - celle des entreprises - et surtout de la demande finale (consommation). Celle-ci dépend d'abord du niveau des revenus (propension moyenne à consommer), du taux d’intérêt (arbitrage entre consommation et épargne : propension marginale à consommer) et l’efficacité marginale du capital (rendement interne du capital).

Il revient alors à l'État de prendre toutes mesures propres à relancer et à favoriser la demande globale, au besoin en l'alimentant avec ses propres dépenses publiques.

3.2/ La légitimité des interventions de l'Etat :

Keynes pense donc que l’Etat doit soutenir la demande effective pour assurer le plein emploi. La politique principale sur laquelle Keynes met l’accent est la politique monétaire. Il faut créer de la monnaie afin de faire baisser les taux d’intérêt et encourager l’investissement. Une politique de taux d’intérêt faible est donc toujours recommandée tant que le plein emploi n’est pas atteint.

Keynes préconise une « socialisation de l’investissement ». L’Etat doit favoriser l’investissement, en diminuant les taux d’intérêt pour favoriser l’investissement privé, ou bien en investissant lui-même, éventuellement grâce au déficit budgétaire. Keynes pense que les grands travaux, en fournissant du travail et en distribuant des revenus, sont des sources de richesse.

Une politique favorisant la consommation peut être favorable au plein emploi. Pour cela, il faut mettre en œuvre une politique de redistribution qui permettrait d’augmenter la propension à consommer et donc la demande effective.

3.3/ Keynes au présent :

Dès le milieu des années 1970, les partisans de Keynes ont commencé à faire l’objet d’âpres critiques. Les recettes keynésiennes semblaient moins efficaces et ont été fortement attaquées par les néolibéraux qui les accusent d'engendrer de l'inflation et des déficits budgétaires, d'ignorer la dimension internationale des économies et le nouveau type, structurel, du chômage.

La crise de 2008, dont nous ne sommes pas encore sortis, a permis aux keynésiens pur et dur de resurgir avec de nouveaux programmes de relance des économies occidentales. Cette crise a permis donc un retour en « force » au keynésiens : Leurs propositions sur les perversions des marchés financiers enfermés dans leur bulle spéculative, sur la régulation nécessaires des marchés, sur le besoin d’Etat et de coordination supranationale ont subitement retrouvé des couleurs.

Pour conclure très rapidement, je dirai que nous venons de voir que, en gros, depuis les physiocrates, les problèmes restent les mêmes. Mais il convient de noter, fort heureusement, que la science économique a progressé au niveau de leurs analyses.


* Dr. Ezzeddine Ben Hamida, Professeur de sciences économiques et sociales (Grenoble)

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