Lettre aux camarades journalistes et économistes libéraux

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Depuis le début des années soixante-dix le libéralisme économique en tant que dogme idéologique a fait peu-à-peu son nid en Tunisie. La répression de la Gauche et des responsables de l’UGTT, lors de cette décennie, a donné libre cours aux idées libérales à tel point qu’elles en sont devenues le paradigme de pensée de référence.

Résultats : chômage de masse, pauvreté, exploitation, arbitraire, disparité régionale, corruption,… Révolution! Après le 14 janvier, la Gauche et l’UGTT ont repris le flambeau du slogan de la révolution : Travail, dignité, démocratie. Ensemble, ils ont développé un discours qui prône la rupture avec le paradigme libéral. Ils ont pris donc à leur compte les revendications sociales ; l’UGTT a repris sa place historique, une place qu’elle n’aurait jamais dû d’ailleurs quitter.

1/ La Gauche revient mais pas pour longtemps :

La Gauche a repris du poil de la bête. Les journalistes savourent ce vent de liberté d’un goût exquis : Ils distribuaient la parole sans réserve, tous azimuts ; ils invitaient sans discrimination ; ils relataient les revendications des pauvres gens sans censure ; bref, Ils organisaient même des débats en direct entre les Hauts fonctionnaires d’Etat, jadis inaccessibles, et la Tunisie « d’en bas ».

Cinq ans après la révolution les données changent et le discours avec : Les idées keynésiennes ne font plus recette ; la social-démocratie n’est plus à la mode ; le vent a tourné ; « Les carottes sont cuites », comme dirait l’autre !

Place au discours culpabilisant, les économistes et responsables politiques libéraux se bousculent au portillon des chaines de télévision et radios : Dettes écrasantes, déficit budgétaire chronique, manque de flexibilité à cause de la rigidité du code de travail, trop de fonctionnaires, caisse de compensation source de gaspillage,... !

Bref, c’est bon,…, on a compris! Il faut dégraisser le mammouth : Désengagement de l’Etat, déréglementation et privatisation. En somme le processus de Washington. En clair, il faut reconvertir les dettes en investissements (voir nos nombreuses contributions à ce propos), supprimer les barrières tarifaires et non-tarifaires concernant le secteur agricole ; permettre aux firmes transnationales mais aussi aux étrangers d’accéder à la propriété, etc.

2/ Quelles responsabilités pour les médias ?

Les derniers événements ont mis en exergue ce débat libéral et culpabilisant. En effet, j’ai pu observer un certain nombre de faits qui ne laissent place à aucune équivoque sur cette dérive idéologique qui tourne le dos aux idéaux de notre victorieuse révolution :

1/ Une large majorité de ces médias, du moins les plus influents, est plus focalisée depuis 2 jours sur les comportements déviants de certains voyous que sur les motivations réelles de cette nouvelle révolte populaire. Une manœuvre de diversion assez insupportable!

2/ Une orientation idéologique dans le débat économique assez inquiétante. Les intervenants sur les antennes lors des émissions radiophoniques et télévisées vantent sans nuance les vertus des privatisations et l’urgence de convertir les dettes en investissement. Ces intervenants n’ont en aucun moment pris le temps nécessaire pour expliquer aux auditeurs la nature de ces conversions et les secteurs d’activité qui intéressent nos créanciers. En fait, il s'agit plutôt d'un discours, d'un monologue, que d'un débat c'est-à-dire la thèse et son contraire!

3/ Les jeunes qui animent ces émissions économiques sont majoritairement issus de HEC et de l'ISG; des écoles dont les orientations idéologiques sont assez libérales. Ces animateurs sont aussi issus des classes aisées et surtout de Tunis par conséquent, ils sont peu sensibles à la détresse de leurs compatriotes dans les régions déshéritées.

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Pour finir je citerai Friedrich Van Hayek [(1899 -1992), Prix Nobel d’économie en 1974, économiste ultralibéral et ex-conseiller de Margaret Thatcher] qui disait « Il n'y a rien dans les principes du libéralisme qui permette d'en faire un dogme immuable ; il n'y a pas de règles stables, fixées une fois pour toutes. Il y a un principe fondamental : à savoir que dans la conduite de nos affaires nous devons faire le plus grand usage possible des forces sociales spontanées, et recourir le moins possible à la coercition. » Pour dénoncer le dogme idéologique et les analyses uni-disciplinaire en sciences sociales, il ajoutait : « Personne ne saurait être un grand économiste en étant seulement économiste et je suis même tenté d'ajouter qu'un économiste qui n'est qu'économiste peut devenir une gêne, si ce n'est un danger. » (La route de la servitude, 1944).


*Dr. Ezzeddine Ben Hamida, professeur de sciences économiques et sociales (Grenoble)

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