La constitution de 2014 et le mode scrutin à la proportionnelle sont les garants contre le retour de l’absolutisme du pouvoir

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A défaut de programme économique solide, structuré, consistant, cohérent et réalisable, qui puisse répondre aux aspirations des Tunisiens, nos politiques s’ingénient à créer des débats factices pour faire diversion. Le conflit d’égo entre Youssef Chahed et Béji Caïd Essebsi a donné l’occasion à nos apprentis politiciens pour relancer le débat sur la réforme de la constitution et le mode de scrutin.

Au diable donc le désarroi de nos jeunes, qui quittent le pays en masse, la montée des inégalités sociales et la persistance des inégalités régionales. Le dinar est à sont niveau le bas : pour obtenir un euro il faut débourser aujourd’hui 3,3 dinars. Tant pis, diraient certains ! Les entreprises étrangères plient bagages. Bon débarras, diraient d’autres! La lutte contre l’économie informelle, quant à elle, est renvoyée à la Saint-Glinglin. Rappelons au passage que cette économie parallèle cause pour l’Etat un manque de recettes fiscales et cotisations sociales de plus de 12 milliards de dinars.

1/ La révision de la constitution de 2014 : un débat malsain

En fait, la problématique est toujours la même ou presque à un terme près : « le Président serait faible car la constitution ne lui attribue pas la totalité des prérogatives nécessaires pour son exercice », disaient aujourd’hui certains conseillers du Président. Ces mêmes conseillers disaient déjà la même chose en 2016, mais à propos du gouvernement : «le Gouvernement serait faible car la constitution ne lui attribue pas la totalité des prérogatives nécessaires pour son exercice ». Dans les deux cas, ils appellent de tous leurs vœux à la présidentialisation de notre régime politique. Ils considèrent qu’en cette période où la Tunisie se cherche encore, le pays a besoin d’un homme fort qui dispose de tous les leviers du pouvoir.

Et Pourtant, la constitution de 2014, par sa nature semi-parlementaire (hybride)1 , vient de montrer que c’est le Chef de gouvernement qui est l’homme fort du régime. Ainsi, Youssef Chahed a pu constitutionnellement endiguer, renfermer, Béji Caïd Essebsi dans son palais de Carthage.

Le débat sur la nature du régime politique est donc un faux débat. Le régime hybride de notre constitution est à mon sens le plus approprié à nos spécificités socioculturelles. Il s’agit d’un régime assez équilibré où la dérive vers la présidentialisation de l’exercice du pouvoir n’est plus de mise. On voit très bien aujourd’hui comment Béji Caïd Essebsi se heurte, malgré ses tentatives, à son « poulain ».

La démocratie et l’exercice du pouvoir, outre leurs aspects institutionnels et organiques, sont avant tout un état d’esprit, une culture, une pratique politique.

Le problème qui se pose aujourd’hui en Tunisie réside en fait beaucoup plus dans la mosaïque des partis au parlement que dans la nature du régime politique. En effet, les élections de novembre 2014 n’ont permis à aucun des partis en compétition d’avoir une majorité absolue lui permettant de gouverner seul sans composer avec d’autres partis en lisse. Les hésitations et la faiblesse du parlement et du gouvernement sont les résultats d’au moins trois facteurs :


* La faiblesse de l’opposition et non du mode de scrutin ;


* L’effondrement de Nidaa Tounès ;


* Youssef Chahed n’est pas un leader de parti politique ; il est l’homme d’Ennahdha sans lui appartenir idéologiquement. Un transfuge ! Il est donc sujet à toutes les distorsions qui pourraient cahoter l’ARP et le paysage politique dans son sa diversité.

2/ Principaux modes de scrutin et leurs effets ?

Le mode de scrutin « de listes à la proportionnelle au plus fort reste» qui a été adopté pour élire en octobre 2011 les députés de l’Assemblée nationale constituante et qui a été reconduit pour les élections législatives de novembre 2014 est considéré par quelques leaders politiques et constitutionnalistes comme étant inapproprié ; il l’accuse d’être responsable des différentes crises ayant secoué la législature actuelle. « Certes, il a réussi à reproduire fidèlement la diversité politique du corps électoral, mais il ne permet pas d’avoir un bloc parlementaire stable qui puisse gouverner » disent-ils.

Les faits leur donnent raison ; cependant, le responsable d’un tel marasme n’est pas le mode de scrutin mais la pratique, l’exercice, du pouvoir et l’état d’esprit de nos hommes politiques. L’opportunisme et l’argent ont dénaturé hélas la noblesse du scrutin proportionnel qui est censé assurer une représentation plus juste et équitable des citoyens.

Le mot « scrutin » désigne l’ensemble des opérations de vote et des modes de calcul destinés à départager les candidats aux élections. Chaque mode de scrutin a ses effets propres.

2.1 Les principaux modes de scrutin


Scrutin majoritaire Scrutin proportionnel Scrutin mixte
Accorde la victoire au candidat obtenant le plus grand nombre de voix Assure une représentation en sièges au prorata du nombre de voix obtenues Combine le mode majoritaire et le mode proportionnel
Scrutin majoritaire
*Scrutin majoritaire Uninominal Les électeurs choisissent entre des individus
-1-Scrutin majoritaire Uninominal A un tour Est élu le candidat qui a obtenu le plus grand nombre de voix
-2-Scrutin majoritaire Uninominal A deux tours Est élu, généralement au second tour, le candidat qui a obtenu le plus grand nombre de voix

D’après Guy Hermet, Bertrand Badie, Pierre Birnbraum, Philippe Braud,
Dictionnaire de la science politique et des institutions politiques, Armand Colin, 2010

Ainsi, le scrutin majoritaire attribue les sièges à celui ou ceux ayant obtenu le plus de voix :


- Dans le scrutin uninominal à un tour (ex : en Grande-Bretagne), le plus simple, le siège est attribué à celui qui a obtenu le plus de voi.

- Dans le scrutin uninominal à deux tours (ex : la France), pour être élu dés le premier tour, il faudrait obtenir la majorité absolue des voix, avec parfois un certain taux de participation est exigé. A défaut, un second tour est organisé pour départager les candidats ayant obtenu le plus de voix, à l’instar de notre scrutin présidentiel.

- Les scrutins de liste, à un ou deux tours, attribuent à la liste arrivée en tête tous les sièges (désignation des grands électeurs pour la présidentielle américaine).

2.2 / Les effets politiques des modes de scrutin


Scrutin majoritaire Scrutin proportionnel
Effets mathématiques Amplifie le succès du parti vainqueur Reproduit la diversité politique des suffrages exprimés.
Avantages Limite la fragmentation partisane, favorise la formation de majorités stables et cohérentes. Une représentation plus juste des citoyens.
Inconvénients Une déformation du suffrage,un affaiblissement des petits partis, une bipolarisation de la vie politique. Un multipartisme anarchique, une instabilité gouvernementale.

Aussi, Le scrutin majoritaire, comme on vient de le voir, donne une prime au parti arrivé en tête et favorise par conséquent la construction d’une majorité. Lorsqu’il est à un tour, il entraîne une bipolarisation de la vie politique à l’instar des Etats-Unis et en Angleterre : on parle d’un système bipartisan. Lorsqu’il est à deux tours, comme le cas de la France pour les élections législatives et l’élection présidentielle, la prime au parti arrivé en tête demeure, mais n’élimine pas les suivants.

Le mode scrutin proportionnel est simple par son principe : les sièges sont attribués selon le nombre de voix. Il permet la multiplication des petits partis (multipartisme) et peut rendre plus difficile une majorité stable. Le seuil fixé pour obtenir le droit à la répartition des sièges et la taille de la circonscription constituent des variables déterminantes. Plus le seuil est élevé et plus le nombre de circonscriptions est important, plus l’accès des petits partis aux sièges sera difficile. De plus en plus, les modes de scrutin sont mixtes, combinant le mode proportionnel et le mode majoritaire, de façon à atténuer les inconvénients des deux modes de scrutin et à bénéficier de leurs avantages.

3/ Le mode de scrutin proportionnel une garantie contre l’absolutisme du pouvoir

Le mode de scrutin à la « proportionnel au plus fort qui reste » n’a pas permis lors des dernières élections législatives de dégager une majorité nette capable de gouverner sans risquer d’être renversée. Aussi, il a fallu des mois de tractations et de négociations à Nida Tounes pour aboutir à la formation d’un gouvernement pluriel ; un gouvernement qui a fini par obtenir à une majorité écrasante le vote de confiance de l’ARP. Cependant, cette union sacrée n’a pas pu résister aux caractères hétéroclites de ce gouvernement, à la faiblesse de son Chef (un homme sans parti) et à la crise politique qui a frappé de plein fouet Nidaa.

Le gouvernement I et II de Youssef Chahed ont connu le même sort, la même destinée! Le divorce prononcé récemment entre nos deux « fauves » politiques a accouché d’un gouvernement III. Ce gouvernement va-t-il réussir à avoir le vote de confiance du parlement ? Oui.

Comme nous l’avons souligné plus haut, ce marasme n’est pas causé par le mode de scrutin à la proportionnelle, mais il est la conséquence de la pratique du pouvoir et de l’état d’esprit particulièrement opportunisme de nos hommes politiques.

Pour se préserver de l’absolutisme du pouvoir, le mode proportionnel est le seul garant contre la tentative autoritaire. Il assure en effet une représentation plus juste et équitable des citoyens. La démocratie est avant tout un état d’esprit, une conscience morale, un attachement aux principes de la liberté et à l’Etat de droit.


1- Un pouvoir exécutif composé de deux personnages clés : le Président de la république et le Chef du gouvernement. Chacun d’eux dispose de prérogatives (domaines réservés) bien stipulées dans la chapitre IV de la constitution. De plus, l’Article 77 attribue au Président de la république, dans des conditions précises et après consultation du Chef du gouvernement, le pouvoir de dissoudre l’Assemblée des Représentants du Peuple. Cette Assemblée, quant à elle, dispose conformément à l’article 97 du pouvoir de vote d’une motion de censure à l’encontre du gouvernement.

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