La chute du dinar tunisien : Une désillusion économique, le désenchantement d’un peuple

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Les autorités tunisiennes monétaires et politiques continuent à croire que la dépréciation du dinar est de nature à stimuler la compétitivité-prix de nos exportations et par la même à limiter nos importations. Ainsi, ils considèrent qu’une baisse de la valeur du taux de change est le remède pour résoudre notre déficit chronique en matière d’échanges extérieurs. La baisse de la parité du dinar pourrait encourager aussi les investisseurs étrangers à venir s’installer en Tunisie ; le levier monétaire sert aussi pour améliorer l’attractivité de l’économie tunisienne et mieux donc attirer les IDE (investissements directs étrangers).

1/ La dépréciation du dinar, une histoire ancienne

Evolution du dinar par rapport à aux devises étrangères
(Évolution en monnaies courantes)

Janv. 2006 Janv. 2010 Janv. 2012 Janv. 2014 Janv. 2018 Dépréciation entre janv.2006 / mai 2018 Dépréciation entre janvier 2012/mai 2018
Euro/ Dinars 1,613 1,9399 1,9371 2,2487 2,9472 -45% -34,27%
Dollar/ Dinars 1,3307 1,3135 1,5187 1,6555 2,4565 -46% -38,17%
10 Dirhams marocains ND 1,741 1,742 2,017 2,6369 -34%
Euro/Dollars 1,2152 1,4385 1,2961 1,3587 1,1977 -1,44% -7,59%

Ainsi, entre janvier 2006 et mai 2018, le dinar s’est déprécié par rapport à l’euro de 45%, de près de 46 % par rapport au dollar et même de 34% par rapport au Dirham seulement entre janvier 2012 et mai 2018. La dépréciation est encore plus préoccupante si l’on remonte à 2001, c’est-à-dire au moment de l’introduction de l’euro : nous sommes passés en effet de 1,1 dinars courant pour 1 euro à 2,9472 dinars aujourd’hui, soit une dépréciation de plus de 63% en 17 ans.

En clair, si nous prenons 2001 comme année de référence, les prix nominaux des produits importés ont déjà été multipliés par 2,7 fois à cause de la détérioration des termes de l’échange ; et, ceci sans parler d’ailleurs de l’effet inflation qui peut avoir d’autres causes pour origine. La dégradation du pouvoir d’achat des Tunisiens est réelle ; le plus amer dans cette situation est qu’il s’agisse d’une inflation importée, incompressible. La hausse des prix n’est pas donc liée à l’augmentation des revenus ou encore à la croissance incontrôlée de la masse monétaire. Il est intéressant aussi d’observer qu’au même temps l’euro a connu une dépréciation de près de 8% de sa parité par rapport au $.

La dépréciation du dinar tunisien est due aussi à la nature de notre régime de change et de l’importance de nos échanges avec l’UE et surtout à la dégradation de nos fondamentaux économiques :

Nous fonctionnons dans le cadre d’un «régime de change d'arrimage souple » (intermédiaire). La valeur du dinar exprimée en devises, peut varier par rapport à la monnaie d’ancrage, le dollar, dans une fourchette prédéfinie par nos autorités monétaires. La Banque centrale intervient pour maintenir la valeur du dinar dans les limites autorisées. En clair, une appréciation du dollar par rapport à l’euro pourrait se traduire par l’appréciation de notre monnaie par rapport à celle de l’UE.

Cependant, vu l’intensité de nos échanges avec l’UE et nos besoins sans cesse croissant en cette devises, d’une part, et la dégradation du solde de notre balance des transactions courantes, d’autre part, il est logique que le dinar se déprécie par rapport à l’euro.

2/ Que dit la théorie économique ?

Une dévaluation ou une dépréciation du taux de change peut favoriser en effet la compétitivité des entreprises exportatrices en diminuant les prix des produits qu’elles veulent vendre à l’étranger. De facto, les produits importés deviennent aussi plus chers ; par conséquent, les importations auront tendance à baisser : Les consommateurs seraient découragés. Ainsi, avec plus d’exportations et moins d’importations, le solde commerciale devrait, selon toute logique donc, s’améliorer.

Cependant, en réalité la situation est éminemment plus complexe et plus amère pour le consommateur, en l’occurrence ici pour le citoyen. Les dirigeants tunisiens oublient, en effet, au passage de signaler à leurs concitoyens qu’une telle manœuvre se traduit nécessairement par au moins deux conséquences négatives :


- Une inflation importée en raison de la hausse des coûts de la facturation des matières premières, des produits semi-finis et des technologies indispensables pour nos entreprises (biens d’équipements, pièces de rechange,…) ;

- Et une augmentation du service (des intérêts) de la dette extérieur : 60% de la dette tunisienne est libellée en euro : pour seulement l’année 2018, la Tunisie doit payer près de 8 milliards de dinars d’intérêt. En somme, le loyer de la dette dépasse le remboursement du principal !

En général, les travaux des économistes sur les effets de la baisse des taux de change sur les soldes des balances commerciales ont montré que ces effets sont variables dans le temps et selon la qualité du tissu industriel.

La courbe ci-dessous, connue sous le nom « courbe en J », dans son interprétation optimiste, montre les effets d’une dévaluation ou d’une dépréciation d’une monnaie sur le commerce extérieur : Nous distinguant aisément deux moments :

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- Un effet immédiat (phase AB): dégradation de ce qu’on appelle les termes de l’échange, c’est-à-dire le rapport entre le prix des exportations et celui des importations. Il s’ensuit une dégradation du solde en valeur de nos échanges courants. En d’autres termes, le déficit de nos échanges extérieurs se creusera davantage.

- Dans un second temps (phase BC) : les volumes échangés réagiraient aux variations de prix. La baisse de la valeur de la monnaie permettrait, comme je l’ai déjà expliqué en introduction, aux entreprises locales de gagner en termes de compétitivité-prix ce qui se traduirait par une augmentation des exportations. Au même moment, les importations tendraient à baisser car les produits étrangers deviennent trop chers. Cet effet-volume ne s’est pas réellement manifesté dans le cas de la Tunisie. Pourquoi ?

3/ En pratique tout dépend de l’élasticité des prix et de la qualité du tissu industriel

En réalité, les exportations supplémentaires supposées dépendent des variations des prix, ce que les économistes appellent « l’élasticité-prix ». Si l’élasticité est suffisamment forte, l’effet-volume l’emportera vite sur l’effet-prix ; sinon le solde courant continuera de se dégrader. Concrètement, si les prix à l’exportation (prix exprimés en devises) chutent d’une manière assez conséquente, suite à la baisse du taux de change (donc, dépréciation de la monnaie), les exportations pourront en effet être boostées. Autrement, le déficit en matière d’échanges extérieurs continuera de se détériorer.

La dévaluation ou la dépréciation suppose de disposer d’un grand bataillon d’entreprise et nationales (publiques et privées) exportatrices dont le processus de production est parfaitement bien intégré. C’est-à-dire, un très haut taux d’intégration grâce à des produits locaux. Ceci suppose au préalable que nous disposons d’une véritable stratégie de remontée de filières : il faut donc que la structure industrielle tunisienne soit capable d’assurer la totalité du processus de production d’un produit, à titre d’exemple, pour produire un jean il faut être capable d’assurer la chaine de production du coton jusqu’à la confection, ce qui implique la maitrise de la branche filature et celle du tissage plutôt que d’importer le tissu et être dépendant de l’extérieur. Hélas, c’est encore le cas aujourd’hui : les entreprises off-shore importent la totalité de leur tissu.

Dans le secteur tertiaire et plus précisément le secteur touristique la situation est encore plus préoccupante pour ne pas dire plus humiliante : La baisse du taux de change du dinar n’est-elle pas de plus en plus profitable aux pays occidentaux ? Nos touristes européens sont généralement des personnes appartenant à la classe moyenne, voire modeste; la parité monétaire du dinar par rapport à l’euro leur procure un pouvoir d’achat inespéré dans leur pays. Concrètement, une caissière à Carrefour en France, vu les prix proposés par les tours opérateurs, peut s’offrir une semaine en pension complète en Tunisie vol compris alors qu’elle ne peut même pas, avec le même budget, s’offrir la simple location au sud de la France. En fait, notre secteur touristique souffre structurellement de l’inadaptation de notre offre à la demande internationale : Une demande en pleine mutation et exigeante en terme de qualité.

Pour conclure, je dirai que la compétitivité à moyen et long terme n’est pas qu’une histoire de dinar faible ou fort. Bien évidemment, c’est la qualité des produits vendus, des services proposés ainsi que la capacité de nos entreprises à les exporter qui font la différence. Mardi prochain j’analyserai toutes les vertus économiques d’une monnaie forte.

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