Je vais essayer de vous raconter des bribes de mon récit, Miel ET Fiel, présenté le 18 décembre 2010 à la Librairie-Espace Art Libris-Salammbô…C’est une histoire d’amour ordinaire, compliquée et entravée, comme tous les récits qui parlent des remous de la passion amoureuse, avec ses soubresauts et palpitations vibrantes.
Ce récit de 136 pages porte l’apanage d’une structure romanesque, à la fois idyllique et tragique, différente en tous points et aspects des Idylles de Théocrite. Il s’avère ardu et délicat, pour un écrivain maghrébin d’expression française, d’envisager l’amour-passion sous toutes ses formes et styles, cela revêt une tournure spécifique, nimbée d’ambigüité et de mystère, puisée dans l’Antiquité qui part d’Aphrodite jusqu’à Eros, chantre de l’Amour…Eros incarne la somme des pulsions de la vie, en contraste avec Thanatos, qui symbolise systématiquement la fin d’une passion amoureuse Il est certain qu’Aphrodite et Eros sont des divinités célestes qui, à l’instar des protagonistes de ce récit, provoquent et déchaînent les passions humaines les plus tumultueuses.
On découvre, au fil des événements rocambolesques qui relient les épisodes intrigants de ce récit, que la situation initiale explose inexorablement pour faire ressurgir des personnalités hors du commun, exprimant leurs émois et leur catharsis dans un champ scriptural détonnant. Il y a inquiétude et exaltation dans le parcours mouvementé de ces personnages : Samy, kalthoum, khansa et Khaoula, se superposent et s’interpénètrent les uns les autres, brouillant la réalité pour mieux laisser transparaître la fiction. L’Amour fou transcende la réalité ordinaire et le Miel dans la peau des personnages comme au contact d’une abeille, il s’infiltre prodigieusement happé par le tourbillon passionnel, mais le fiel veille à son anéantissement, se diffusant partout dans l’écorce des peaux, pareil au poison d’Arsenic qui se délite dans les veines d’Emma Bovary.
Si le Miel est du ressort de Sam, un mâle regorgeant de séduction, de virilité et de paroles chaleureuses, il gagne aussi kalthoum qui savoure les délices d’une liaison inespérée ; le Fiel se range dans les rapports venimeux des deux rivales et dans les propos acérés échangés entre les deux sœurs, Kalthoum et khansa.Une certaine animosité transparaît dans la vie pleine de contraintes et d’amertume que mènent les deux sœurs, lors de leur fuite-installation précaire au Caire, dévoilant ainsi la dérision de leurs destinées respectives.
Comme le texte précédent Mawôud (Rendez-vous, juillet 2005), Miel et Fiel se confine dans une dualité culturelle et individuelle : un contexte arabo-musulman imprégné de l’Occident, inscrit dans un décor et une langue typiquement orientaux.
Les péripéties et intrigues se multiplient au fil du récit, laissant pantois et hilare le lecteur-conteur..On se sépare pour mieux se retrouver après… .Extraordinaire est la métamorphose kafkaïenne, depuis le début de la liaison jusqu’à la rupture consommée, puis la description des retrouvailles dans des villes étrangères où s’accorde la fusion des corps et des âmes.
Dès lors, Sam de nature sauvage et farouche, se transforme et s’ouvre à l’amour chaud et communicatif, grâce au contact de Kalthoum, qui l’enchante, l’apprivoise et le réconforte .Pareille en cela à la déesse-géhenne des Mille et Une Nuits, Shéhérazade, qui traque son époux le sultan Châhriyar de toutes les ruses de son esprit amoureux, en le captivant par des histoires merveilleuses ; à l’instar d’une sonate musicale proustienne qui se manifeste sous des airs mélodieux divers. Depuis, les protagonistes du roman se retrouvent dans le sillage d’une ville enivrante de mystère :Al Qahira :La triomphante, dont « le plein-ventre » est décrit avec splendeur, à la manière de Zola décrivant la capitale parisienne. Alors que le Nil éclate dans toute la luminosité de sa lumière, un imbroglio de situation complexe et passionnelle s’enclenche entre les personnes, suscitant des renversements et des actes délirants.
Ainsi, la conjoncture romanesque brasse les espaces, lieux et temps prescrits pour s’inscrire dans l’atemporel et le mythique. Jorge Louis Borges déclarait que : « Les lieux d’amour sont des lieux de perdition.»C’est à Dubaï, refuge des deux amoureux qui essayent de se reconstruire, que les masques tombent et que les préjugés s’effondrent. Le lieu d’amour n’est plus un lieu perdu et désert ; il devient le sanctuaire de l’amour. Ces navigateurs maitrisent le gouvernail de leur vie amoureuse, évitent les écueils rocailleux et échouent sur le nouveau rivage du bonheur, site inconnu magnifié par Julien Gracq dans « Le Rivage des Syrtes ».
C’est là que le bât blesse, quand le couple se soude étroitement et affronte ensemble le chaos et l’adversité du monde qui leur tisse sa sombre toile. La lame de fond se détache et les amoureux s’accomplissent dans une plénitude harmonieuse totale.
On se rapproche de Juliette et d’Antigone, en s’éloignant de la coupable Médée, qui commet son infanticide sans scrupules…Voilà que la solitude souveraine gagne Sam qui s’identifie à Hamlet, son meilleur exemple car c’est un héros positif qui a osé comme lui défier son destin.