Lors de l'élaboration de ce thème, j'axe mon étude -problématique sur deux aspects majeurs dans la vie et la carrière littéraire de Gustave Flaubert, qui d'ailleurs s'entremêlent au point de constituer un seul et unique point pyramidal.
J’axerai d'abord sur le premier aspect qui comporte les" ingrédients", facteurs et motivations de son grand voyage oriental, un quasi-rêve qui comporte des éléments enchanteurs et dés-enchanteurs flagrants...Ensuite, j'orienterai mon étude sur un thème central, qui serait celui de la nature de ses rapports, parfois tendres, souvent complexes et conflictuelles avec les auteurs et écrivains minores qui l'ont côtoyé et accompagnés au cours de ses voyages, de ses pérégrinations et cerné de prés son caractère changeant et sa personnalité quelque peu versatile. Qu’en est-.-il de ces rapports forts et ambigus; sur quoi se basaient ses relations teintées d'amour et de haine, d'admiration et de convoitise?
Il est certes difficile de les analyser clairement, mais facilement discernables par un certain nombre d'attitudes et d'hypothèses.
Le premier aspect qui nous interpelle est celui du Voyage, un homme de lettres qui quadrille les quatre coins du monde, en quête d'une réalité et d'une vérité évocatrice de ses inspirations ou emblématique de sa soif de dépaysement exotique. Le voyage qu'a effectué Gustave Flaubert en Orient et dans les pays du levant, sa source provient du siècle de Lumières et de ce que les écrivains-philosophes, et non des moindres, ont effectué accompagné d'auteurs de second ordre, voire de troisième ou de quatrième rang selon Werner Krauss, donc des minores.
Son premier attachement est que c'est un lien sentimental, à la fois ténu et dégagé. Il s'avère difficile de dissocier Flaubert de ses rêves juvéniles d'enfance, qui prisent surtout la teneur d'un rêve oriental, dans le sens d'oriental, d'extraordinaire, attrayant et éprouvant à la fois pour les sens. Il n'y qu'à voir les personnages présumés voyager et parcourir le monde dans ses textes clés qui sont devenus des chefs-d’œuvre universels.
Des joyeux drilles baignant dans un monde drolatique imaginaire, Bouvard et Pécuchet font le tour du monde, sans quitter leur territoire, coincés dans l'enceinte de leur infra-miros. Personnage fétiche auquel je me suis souvent identifié, Frédéric Moreau dans "L'Education sentimentale", voyagea inlassablement et inexorablement, pour déclarer à la fin de son périple au bord d'un paquebot, ne trouver que l'extrême; rempli d'un vide-néant à l'instar de l'écrivain japonais Yukio Mishima …
Son personnage-narrateur principal, Honda, déclare précisément dans les dernières lignes du texte:"L'Ange en décomposition", au chapitre trente, ne trouve dans le supposé jardin d'Eden qu'un espace rasé comblé par un vide gigantesque: «Pas d'autre bruit. Le jardin était vide. Il était venu, pensa Honda, en un lieu de nul souvenir, de néant."(p:1193); "Le plein soleil d'été s'épandait sur la paix du jardin."Coïncidence incongrue entre ces deux écrivains hors normes, qui ne se sont pas connus, issus d'époques différentes et de sociétés civilisationnelles aux antipodes: l’un vient du pays Levant le Japon et l'autre glanant ses idées de sa Normandie natale.
Pourtant, un point fort les relie: la même sensation désemparée de désillusion, de vacuité, de solitude structurelle et ontologique. Cela exprime-t-il que le Voyage de Flaubert en Orient a été un échec cuisant; aussi bien de point de vue découverte personnelle que d'accompagnement humain amical? Que s'est-il passé en route? Déroute et trahison provenant certainement de ses amis minores, déception totale s'ils n'ont pas la même acuité de regard sur les choses...Flaubert s'est-il fourvoyé dans ses choix de voie orientale en offrant la vision d’un voyage oriental moins séduisant et pittoresque en s''accompagnant de minores au-dessous de sa condition de génie littéraire?
On se demande ce que convoitaient ces minores, qui fixaient ces images dans leurs mémoires et semblaient adhérer à ses principes et visions d'exploration? Se forgeaient-ils une façade ou une capitulation devant l'ordre créatif de leur mentor, qui les poussait de l'avant, les valorisant sans cesse même s'ils révèlent une certaine impuissance à atteindre son génie. Dans les écrits personnels de Flaubert comme dans L'Odyssée d'Homère, à l'éloignement dans l'espace succède l'éloignement dans le temps; l’Orient du passé fait suite à l'Orient de Fantaisie, atemporel et diachronique, constitué de rage et d'impuissance créatrices, autour duquel pivotent ses deux principaux minores: Alfred De Poitevin et Maxime Du Camp. Comme dans L'Antigone de Sophocle, la Salammbô de Flaubert établit d'ors et déjà un lien intrinsèque entre le voyage d'orient et le Monde de L'Antiquité.
Le deuxième aspect qui nous intéresse est celui de la nature et de l'attitude comportementale de ces minores, compagnons assidus du voyage. Pour ses amis, le voyage procure un plaisir de dilettantisme attrayant, ce n'est plus le pittoresque des régions visitées, mais l'ivresse du voyage en lui-même. Pour Flaubert, L'Orient n'est pas seulement le lieu où se lit la pensée: il est celui de la permanence. C’est grâce à son ami, Maxime Du Camp, que Flaubert a fait le grand voyage de sa vie. Devenu son intime, il vient en Février 1844 lui tenir compagnie à Rouen après la première crise d'épilepsie, en lui promettant avant de la quitter, d'effectuer un voyage ensemble. Pourtant, il faillit à sa promesse en voyageant une première fois seul, mais ce voyage se révèle être une demi-réussite, avoue-t-il à Flaubert, désappointé.
Prenant exemple sur le maître, il publie à son retour un livre intitulé: Souvenirs et paysages d'ORIENT. Du Camp consent enfin à effectuer son second voyage avec Flaubert, et à son retour, prenant modèle sur le maître, il publiera essentiellement sur L'Egypte et la Nubie. Distinguons donc une amélioration nette des relations de Flaubert avec ce minore proche, dont il imite l'exemple de carnets de voyage. Mais la relation d'amitié se détériore entre eux pendant l'été 1845, lorsque Du Camp vient passer une partie de l'été à Croisset et qu'il semble agacé par "l'orgueil morbide" de Flaubert…
Pourtant, les liens demeurent ténus et Du Camp continue à s'occuper de Gustave, lui vouant une fidélité sans bornes. Une fois hors de son champ de vision, il lui écrit le témoignage de son amitié grandissante et son désir impérieux de voyager encore avec lui, destination la Grèce et la Sicile. Mais ils ne partiront d'abord ensemble en 1847 que pour un sage voyage en Bretagne et écriront à leur retour, installés dans la même pièce: Par les Champs et par les grèves-un chapitre l’un, un chapitre l'autre. La complicité de collaboration étroite atteint dés lors son apogée. Mais la perfidie finit par triompher quand un jour, Du Camp lui parle d'un prochain voyage en Orient en solo; consacré à un reportage photographique.
Flaubert réagit mal, le cœur pincé et lassé de sa vie cloîtrée, esseulé, il insiste afin de l'accompagner lors de ce périple. Agacé, Du Camp compatit à son mode de vie pénible et obtient l'autorisation de sa famille, ravis de le voir se refaire une santé lors d'un séjour dans un pays chaud. Réticents, Madame Flaubert et Maxime Du Camp cèdent -pour des raisons différentes-car Flaubert éprouve, moralement plus encore que physiquement, le besoin de "prendre l'air». Le voyage se fait et le travail de concert crée une collaboration encore plus étroite et fusionnelle. Intéressant son ami Du Camp à l'observation et à la pratique, dans le domaine de la sexualité orientale, il apparaît plutôt intéressé et ingrat dans certaines positions à l'égard de Flaubert…
Quand il montre dans ses écrits de voyage, que ce grand jouisseur de la vie est aussi un compagnon triste jusqu'au fond de l'âme et qui s'ennuie à mourir dans des circonstances pleines d'intérêt! Aussi, il révèle le côté sombre de sa personnalité, où les mots tristesse rêveuse, amertume et mélancolie reviennent souvent dans ses notes, lorsqu'il s'agit d'évoquer un départ. La jalousie se manifeste aussi ouvertement, quand Du Camp ne "s'occupe pas de littérature", écrit à ses amis et à Louise Colet; un aspect qui irrite fortement Du Camp ne possédant pas ce don d'écriture. Même au cours de voyage en Orient, taxé comme «le modèle du périple idéal » de l'époque, Du Camp ne fut pas le compagnon idéal, il était inquiet car il redoutait de se trouver seul en voyage avec son ami Flaubert qui était sujet à des "attaques de nerfs" et suggéra d'emmener une horde de domestiques avec eux .Sur le gué, Du Camp s'occupa pourtant consciencieusement des formalités de sécurité et d'obtention de demandes d'autorisation diverses; en cas de besoin.
S'il est bon de ne jamais perdre de vue les vecteurs de l'amitié lorsqu'on s'intéresse au travail de Flaubert, Alfred de Poitevin y occupa une place centrale entant que minore, cet attachement servit et se prolongea en l'occasion par l'amitié naissante pour Guy de Maupassant. Flaubert participait à sa formation et suivit son cheminement littéraire.
Mais une fois devenu écrivain reconnu, Maupassant fit une énorme bévue, en dévoilant la "vie intime" de ce dernier ou sa "maison", se présentant ainsi comme un minore mineur à l'indiscrétion certaine qu'on ne lui pardonne pas. Disciple de Flaubert, Maupassant partage avec lui son goût pour les destins ratés. Pourtant la « camaraderie littéraire »a été le point fort de Flaubert, qui n'en a jamais été récompensé au retour. Car le lien persistant entre les écrivains est la jalousie littéraire; entre lui et ses minores: Du Camp qui fut l'un des plus intimes amis de Flaubert, n'avait sans doute pas prévu assurément l'effet que produiraient ces paroles.
L’écrivain était atteint d'un horrible mal, l'épilepsie, dont il est mort! Cela eut l'effet d'une bombe et chagrina beaucoup Gustave et sa famille. Les Hagiographes de Flaubert dans sa "Correspondance" ont deux bêtes noires: les frères Goncourt ainsi que Maxime Du Camp. Ces trois minores n'ont jamais été tendres; aussi bien dans leurs actes que dans leurs propos acerbes, "le saint du jour"; chargé de tant de fautes et de pêchés. Envie, Jalousie, Incompréhension, Malveillance, ces réserves reviennent à l'envi dans les homélies pour Flaubert et les diatribes contre ses détracteurs. Pourquoi tant d'hostilité et de rancœur à son égard? Il est difficile de discerner la part de vérité chez ces minores, un aspect qui est loin d'être négligeable!