Hedi ou le triomphe de la réalité sur la fiction Par Sélim Lafif

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Il faut des œillères pour ne pas entendre la vérité et une trompe l’œil pour ne pas voir la réalité tunisienne bien en face. Une vérité éclatante, sans fioritures, ni dithyrambes, sans scrupules, ni éloges ; enrobée d’odeur rance et de fiel amer recouvrant la masse d’une jeunesse postrévolutionnaire. A la recherche d’elle-même et en quête d’un bonheur et d’un équilibre personnels, qu’ils sont prêts à arracher à toute volée, à croquer à pleines dents.

Cinq années après le printemps arabe, le cinéma tunisien se rehausse au niveau mondial et crève l’écran par une lucidité monstre ; se forgeant une place privilégiée dans la cinéma international.

On brise les barrières, on casse les tabous et on se repaît des saveurs de la thématique nouvelle et indicible, d’une scénographie filmique longtemps tétanisée et stérotypée.Un élan rempli de fraîcheur, de jouvence et de rigueur s’est infiltré dans les veines violacées d’un cinéma désuet, classique et a conduit ce film dirigé par des mains de maître : une productrice chevronnée, un metteur en scène confirmé et des interprètes talentueux vers une consécration confirmée, une gloire méritée et enfin une maturité perfectionniste.

Il est certain que le septième art a atteint en Tunisie son apogée, maitrisant sa vitesse de croisière, abjurant les faux-semblants et défiant les clichés et schémas d’antan.

Contempler la vie quotidienne dans l’arrière pays-tunisien, dans deux villes phares aux contours historiques et à l’impact universel, Kairouan et Mahdia, est un régal gargantuesque, un véritable art d’accomplissement noble dans cette société à l’aspect inachevé où une jeunesse éperdue d’absolu dévie d’un cheminement tracé d’avance pour s’écarter des carcans perdus des sentiers fixés à l’avance.

Lors du festival de cannes de 1974, le Cinéma espagnol a défrayé la chronique, dans cette fin de règne de Franco où la dictature battait son plein, les chefs-d’œuvre de Carlos Saura, Cria Cuervos où les ailes du corbeau s’acharnent d’une manière mortifère sur les membres d’une famille, pour se rabattre ensuite sur le magnifique Anna et le loup…Un metteur en scène qui déverse sa bile et excelle dans sa mise en scène ; à travers les spectres et les images, sur un monde qui doit disparaître et disparaît pour toujours…C’est à ce point culminant que le cinéma tunisien vise pour atteindre les sommets de la transparence et de l’excellence dans la matière et dans la réalisation cinématographiques.

Il était temps, ou plus que temps, qu’on atteigne la plénitude et que l’on frôle la perfection. Il s’avère que ce film a réussi son but : laisser le spectateur se creuser les méninges, réfléchir sur la représentation despotique de la hiérarchie familiale et sur le sort social déplorable de la condition humaine, en proie à un déchirement personnel et à un dilemme ancestral.

Arracher les racines empestées pour mieux s’ancrer dans des racines plus profondes, épanouissantes, accessibles à la mouvance de l’universel…Tâche difficile à accomplir dans un pays aussi « jeune » et « tourmenté » que notre chère Tunisie. Un rendez-vous immanquable avec une jeunesse révoltée, ardente et en pleine ébullition sociale, intellectuelle et culturelle …

Comment ne pas succomber à ce charme ensorcelant ; pareil à celui qu’a exercé la magicienne Circé sur le captif Ulysse, quand nous voyons ce jeune homme de 25 ans , Hédi, timoré, inhibé, indécis et introverti , happé par une mère abusive, un boulot sordide, un talent enfoui et une sensibilité refoulée, une fiancée conformiste, se révolter contre l’amère réalité des jours et la sordide usure de son quotidien banal et morose… quand il croise, sur son chemin de crucifié, voué à un égarement structurel conditionné par son milieu familial, une belle fille, Rym, libre et délurée qui va jusqu’au bout de ses désirs et de ses choix démesurés !

De l’homme piégé, il se transforme en l’homme révolté conçu par Camus. La rébellion éclate, de manière tonitruante et absorbe tous les tabous et préjugés. Hédi, au contact de Rym, la rieuse, débordante de vitalité et de prodigalité, alors qu’il est dans la semaine de son sacré hymen, se transforme et s’ouvre à une vie nouvelle, laissant libre cours à ses désirs, plaisirs et fantasmes les plus fous et les plus véhéments .

Rasséréné avec un trop-plein d’amour et de confiance en sa petite personne jadis tant opprimée, il chamboule son univers tranquille et plat et bascule dans les délires de l’amour passionnel. Délaissant une mère insensible à ses douleurs et qui évolue dans un cadre imaginaire quasi-autiste, accompagnée d’un frère sournois et froid qui le voue à une vie fixée d’avance, Hédi envoie tout promener et décide de suivre Rym dans ses pérégrinations et escapades en Europe, il réfléchit quand même, car la raison l’emporte souvent sur le grain de folie amoureux, impulsif ;le film se termine sur un grand point d’interrogation, laissant le public pantois !

Avant de suivre les pas de l’être qu’on aime, il faut se retrouver pleinement, recouvrer sa liberté, trouver sa véritable vocation et se confronter à soi-même .Creuser dans sa liberté pour dénicher un chemin meilleur ; Etre d’abord en accord avec sa propre personne, l’amour viendra après, une fois qu’on a gagné la paix et la quiétude de l’âme …N’est-ce pas vrai, chers lecteurs, courrez-y voir ce bijou de film !


Inhebbek Hedi

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