Une Soirée dans Le Royaume des Amoureux

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Moi le, francophone invétéré et accro aux grandes tragédies et romans classiques des grands siècles de littérature française, rare a été mon engouement pour un livre d’une poésie rare, écrit en langue arabe claire et châtiée, avec une prose déconcertante et un style rythmé décapant, où foisonnent des voix polyphoniques et des situations événementielles diverses , qui prêtent volontairement à confusion et prêtent serment à bon escient à une connaissance étendue et à une conscience éveillée des bienfaits et des merveilles ,calembours et tournures de la langue arabe, exprimés et traduits à travers une trame romanesque d’une captivante étanchéité et d’un vif intérêt.

Le fait est là, la narratrice nous emporte dans les tourments et méandres de vie du personnage principal, aussi important qu’insipide par sa présence et son existence non-confirmée, c’est le non-sens, la non-personne tel qu’il a été préconisé par le personnage étrange et ambigu de Meursault dans « L’Etranger » d’Albert Camus.

On baigne en pleine perplexité, dans une atmosphère où règne l’absurde parmi une gerbe, à la fois florissante et poisseuse de fleurs de Mimosas… D’un jaune étincelant se dressant comme dans un tableau ensoleillé arlésien de Van Gogh !

Très vite, on est emportés par les épisodes intrigants et policés du récit, où les actions se succèdent dans un désordre ordonné, car cohérent et passionné, parsemé d’anecdotes et de références littéraires et culturelles sans pareil et sans démesure de qualité, entraînés par un crescendo de rythmes à la symphonie non pastorale inachevée et traversé de part et d’autres par une poignée de voix superposées qui vous étrille les tripes comme un couteau bien effilé ,qui transcende les tabous de la langue arabe pour accéder à l’art de l’écriture poétique universelle, conjuguant en un seul phénomène littéraire unique les rudiments de la langue arabe à ceux de la langue française .

L’auteure-narratrice nous donne libre accès à toute la virtuosité de son art langagier, incluant son texte dans un mouvement fluctuant de transformation sacro-saint, dans un contexte littéraire univoque et unidimensionnel, qui nous fait penser à la littérature, au cinéma et à la peinture des plus grands qui ont déferlé et bouleversé les étiquettes des courants les plus figés et les plus traditionnels de ce bas-monde, où la libre créativité a souvent cédé la place au sordide mimétisme et conventionnalisme dont est dépourvue l’écriture poignante et translucide de Leïla El Haj Amor dans « Le Royaume Des Amoureux ».

A côté de la polyphonie des voix des personnages qui se meuvent dans une tornade culturelle-Paris est la ville des Lumières qui s’allument pour clignoter en cas de danger et s’éteindre à jamais pour un retour au pays natal comme l’aurait aimé et conçu Aimée Césaire- s’étendent les champs lymphatiques de l’intertextualité à la fois orientale et occidentale, orale et écrite, imaginaire et réaliste , dont se nourrit avec aisance notre narratrice, aux expressions idiomatiques inventées ,riches de sens et de densité de la langue arabe, ficelée et tournée comme un fourreau de belle dame, belle âme en proie à la tentation du diable, comme les deux principales héroïnes de Leila :Mariam du nord de la Tunisie et Marie l’occidentale de l’impétueuse capitale Paris.

Paris où le personnage féminin représente à la fois La typicité et le conformisme religieux incarnés par l’Ave Maria, pécheresse qui revêt l’accoutrement d’une sainte rédemptrice, chassant le péché et la tentation du diable.

Quant au personnage principal masculin ou émasculé, flou et ambigu, car il baigne dans un subterfuge de vivant sans souci de la débandade d’un exil volontaire puis forcé de vingt années d’enchaînement à l’ensorcelante France, surgissant sous la forme impromptue et fantomatique d’un mort vivant et d’un vivant rongé par la mort incestueuse qui l’envahit , lorsqu’il retourne au pays et remue dans sa tombe, réelle ou symbolique rongé par les insectes et dévoré par les fourmis, parasites d’une révolution tunisienne sur fond de décor écarlate et rebelle, sans fins ni limites, gigotant dans un être sépulcral ,pareil en cela au personnage sartrien de la Nausée et complexe du théâtre Beckettien , qui se fond et se délite dans un monde macabre, afin de mieux retrouver son identité perdue et son authenticité massacrée par les années d’exil, l’amnésie culturelle, les amours perdues, les rites oubliés et la jeunesse enfouie dans les recoins d’un paradis perdu à tout jamais.

On s’enchevêtre dans les fils et détours interminables de l’action du récit, où les morts se superposent aux vivants, où les idéologies deviennent une véritable descente aux enfers et conduisent à la perdition de soi, à une mort certaine, peut-être certaine, peut-être inventée, selon les métaphores et les atours de l’envoûtante langue d’écriture de Leila, écrivaine-narratrice-héroïne hors pair, hors normes qui se joue de nous par sa maîtrise infaillible de la langue arabe érudite, au point que moi-même ai l’impression de lire en français ce qui est narré en arabe !

Terrible constat qui marque une sorte de perfectionnement qui tend vers l’universel idéalisé, puisque Leïla détruit par sa prose poétique les barrières linguistiques. Peu importe la langue de communication, le message chargé de nuances et de portée culturelle passe fluide, limpide et léger.

Sans omettre la gravité du sens, Ange exterminateur, charme discret, Belle de jour ou obscur objet du désir, je retrouve tous ces agréments de Luis Buñuel-mon réalisateur fétiche- qui nous guide vers La voie lactée de l’écriture foudroyante de Leïla et son Royaume des Amants Punis, L’âge d’or d’une description foudroyante qui nous fait oublier la triste beauté de Tristana , en quête de son tristan.Ce roman est un Testament…Plongez-y !

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