Où sont passés nos érudits arabo-musulmans ?

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Mon cher cousin, le magistrat Mokhtar Meddeb, m’a filé grâce au réseau Facebook, un article pesant qui m’a laissé désappointé et qui a été publié dans Articles Tunisie. Il n’a fait que confirmer mes certitudes et mes appréhensions, aussi amères et aigres qu’elles soient. Je reprendrai brièvement l’essentiel avec mon propre style, à mon agrément.

Car il n’y a presque plus rien à faire, que d’espérer et d’attendre une aide providentielle. Que justice soit rendue à cette chute mortelle, pire que la décadence de l’Empire Ottoman, que la Rome antique brûlée par Néron. Un constat terrible ; nos érudits sont morts et des cendres de braise calamiteuse se répandent sur le devant de la scène arabo- musulmane, aussi bien sur le plan panarabe que sur la devanture occidentale.

Nationaux et internationaux se conjuguent pour établir la décadence actuelle de l’idéologie et de la pensée arabe. La lampe de chevet qui baignait l’atmosphère poétique et culturelle s’est éteinte à jamais, le marasme sévit depuis 2011 sur les lueurs d’une lumière qui s’éteint sous les feux du désespoir.

Dur, dur, cet étrange phénomène qui fait que, l’un après l’autre, nos « érudits » se sont éclipsés par la grande porte sur un »ailleurs » aux auspices incertaines, tranchant dans le vif en emportant leurs victuailles « bien-pensantes »et en nous arrachant du champ du verbe, de la psaume des idées et du cycle de la vie. Nous laissant orphelins, pantois.

En l’espace d’un laps de temps assez court, six années du moins, les détenteurs de la vérité-« Ana El Haq », a susurré El Hajjej- les partisans du discours savant, discursif et éloquent, ont quitté ce bas monde, l’un après l’autre, en file indienne dans une danse macabre, laissant en suspens la question religieuse, jetant derrière eux leurs querelles polémistes et leur regard critique envers tout ce qui a façonné la désuétude et l’archaïsme de la civilisation arabo-musulmane.

Et surtout leurs confrontations douteuses face à l’hostilité de « l’Autre », l’étranger à leur propre culture qui les amoindrit, leur mine le moral et leur coupe la gorge avec un couteau « décivilisé » à la lame tranchante bien acérée.

Envolés pour un monde certainement meilleur sinon plus bienveillant, Je les cite dans le désordre des idées et l’ordre du départ .D’abord, Mohamed Arkoun, décédé le 14 septembre 2010, enterré au Maroc, dans un cimetière de Rabat, Il fut un brillant islamologue humaniste et incarnait l’homme des grands débats, le porte-parole de la rationalité et plaidait pour l’autorité de la raison.

Un aspect fortement contesté et prohibé dans le monde arabo-musulman, où la transcendance de la pensée individuelle est bannie.Arkoun a toujours soulevé le problème crucial de l’éloignement, fortuit ou aléatoire, des musulmans et des arabes de la raison et de el ijtihad « l’effort »,depuis l’ère du Mouvement d’el Mouâtazila.

Ensuite, fut la perte cruelle du poète soufi et essayiste-chercheur Tunisien Abdelwahab Meddeb, décédé le 05 Novembre 2014 à Paris, enterré à Tunis, au cimetière d’El Jellaz,dans la tombe de ses père et grand-père , éminents ulémas de L’Université de la Zitouna. Abdou, mon cousin puîné et maître de pensée, était un intellectuel raffiné, passionné des belles lettres, de la poésie mystique, féru de philosophie esthétique et hanté par la culture de la spirtiualité.Il était surtout visionnaire et perspicace. Et il me manque tellement, que je n’ai plus remis les pieds à Paris depuis sa disparition.

Si Arkoun appelait haut et fort au retour urgent de la rationalité dans la vie des musulmans, Meddeb creusait minutieusement dans les trésors précieux de la spiritualité. Il était triste et confus d’observer la « rongeur » : que cette dernière s’est trouvée chassée par l’islam politique créé et défendu par les frères musulmans. Sa confrontation dans un débat télévisé en 2008 a fait un grand tollé, face au fondamentaliste aux positions extrêmes, l’égypto-suisse Tarak Ramadan, dont je ne partage pas les idées pour son radicalisme et cynisme, qui ont bouleversé Meddeb au plus profond de lui-même au point de se laisser aller à l’emportement, lui le sagace penseur !

Actuellement, ce petit-fils d’El Benna proclamé comme son digne héritier par son vis-à-vis lors de cette polémique, fait l’objet d’un procès, accusé à tort ou à raison, de harcèlement sexuel et de viol sans preuve !Chassons le naturel, il revient au galop. Ils auraient pu se rejoindre, car la spiritualité n’est que l’autre face de la rationalité. Sans animosité ou contradiction aucune.

On sait que dans l’Histoire musulmane, les grands intellectuels soufis, à l’image des philosophes de la rationalité étaient souvent excommuniés, chassés ou assassinés. Le troisième intellectuel arabe qui a aussi disparu prématurément, le 12Novembre 2016, est le gracieux Malek Chebel, il n’avait que 63 ans et encore beaucoup de choses à dire et à contester, lui dont la plume légère et acerbe laisse des traces indélébiles dans nos âmes et esprits hantés par la pensée arabe.

Son sourire désarmait les esprits les plus revêches et sa réflexion incitait à la dispersion sinon à la rébellion. On le vénérait aussi, comme les précédents, avec ses titres bien ajustés et ses idées rafraichissantes et limpides, autour de L’Islam, il fut l’éclaireur éclairé. Ecartant l’étrangeté intellectuelle, Malek l’Ange promu jamais déchu de son piédestal, virevoltait dans le désir, à la fois corporel, spirituel et sentimental amoureux, dans la tradition préférée de la Civilisation islamique.

Un triumvirat de brio chez les personnages fictifs, aux mille facettes, de ses textes favoris. Malek, je t’aimais tant !

Le quatrième et dernier grand disparu de ces « hommes qui aimaient les âmes Arabes », par défaut à Truffaut et à son fantastique Charles Denner qui comparait les jolies jambes de ses conquêtes féminines à des écarts et ronds de compas, âme fait pendant à femme, dans notre véritable culture islamique. Je disais donc que c’était Ali Merad ; qui nous a quitté discrètement et subitement le 24 Mai 2017 .J’avoue que je connais très peu l’œuvre de cette personnalité veillant à rester dans l’ombre, bien que cheville ouvrière besogneuse et prolifique, puisque dans ses recherches il a abordé les problèmes épineux et ardents de L’Islam.

Depuis son ouvrage sur le réformisme musulman, il n’a cessé de prêcher pour les dialogues des religions et des cultures. Amis lecteurs, mes chers lettrés, mettons la main dans la main et allons ensemble placidement et conscieusement à la découverte de son œuvre séducrtrice.C’est un appel pressant, organisons des rencontres, des assemblées autour de ces auteurs et de leurs œuvres diverses, protéiformes, puissantes d’idées et de volupté…

Ainsi, l’automne a englouti trois de ces personnalités comme des feuilles jaunes qui tombent et se dispersent dans l’infini des chemins. En l’espace de six douloureuses années, vidée de sa substance, la révolution de jasmin a cédé la place à la cérémonie des adieux Beauvoirienne, ou même Chabrolienne.

Littérature et Cinéma occidental ont eu gain de cause de notre chère civilisation arabo-musulmane, à cause de l’étroitesse et de l’éteignement d’une lignée prestigieuse de prédicateurs divins.

La scène philosophique est actuellement vide, le désert de Lawrence d’Arabie n’est plus qu’un mirage dépourvu de ses dunes. Où est Omar Sharif juché sur son cheval et buvant à la source ? Une fois que les érudits et les artistes sont morts, le grand rideau rouge est tombé sur l’immensité. Il y aura peut-être un après ou peut-être plus jamais…

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