L’histoire frappe rarement à notre porte. On est plus souvent à la subir qu’à la faire. On se laisse la plupart du temps porter ou avaler par le torrent des jours dans l’impuissance politique et la passivité, même indignée, des évènements.
Mais il se trouve que parfois des hommes sont au bon endroit au bon moment et qu’ils ont la possibilité folle de tordre l’histoire, de s’en emparer et de changer le cours des choses ; non seulement d’en être l’acteur mais le réalisateur même.
Quand De Gaulle rompt avec sa famille politique, avec Pétain, son parrain militaire, avec son milieu son monde sa tradition légitimiste et part, non pas se planquer à Londres, mais résister en n’étant rien ou si peu, condamné à mort, déchu de sa nationalité, avec le risque probable de ne jamais refoutre les pieds dans son pays, il faut croire en sa démesure, avoir une conviction en acier et sans doute une audace instinctive tout autant qu’irrationnelle liée à un égo surdimensionné, bref s’élever au niveau du héros, en dessous des dieux mais au dessus des hommes, pour se projeter dans le grand destin.
Il n’est évidemment pas donné à tout le monde de sauter dans l’inconnu avec toutes les chances ou les malchances, malgré son courage ou sa vision, de sombrer dans le néant, de disparaitre dans les soubresauts troubles de l’épopée.
Si, entrer vivant dans la légende tels Mandela, Gandhi, Castro ou Arafat reste exceptionnel, en sortir tragiquement en y laissant très vite sa peau tels Guevara, Moulin, Sankara ou Luther King en marquant de leur empreinte le roman national et la postérité est déjà un exploit, il est surtout plus fréquent de finir victime anonyme et sacrifiée d’un Panthéon illusoire, soldat inconnu d’une mythologie que l’on n’imprimera pas.
Bref au jeu des péripéties, des furies et des intrigues, s’il n’est pas simple d’accéder à la cour des grands hommes, il suffit d’un peu de veulerie et de médiocrité pour grimper en rampant sur le piédestal branlant des François de Rugy et autre minable.
A chacun son envergure.
Tout ça pour dire que Tsipras eut l’opportunité d’entrer dans l’histoire en la fracassant (un peu) et y renonça totalement pour finir par gérer en petit administrateur pragmatique et conciliant le désastre grec et le désespoir des grecs, rajoutant même à son malheur (et au nôtre), comme Benoît Hamon ( dans une moindre mesure) eut l’occasion d’exploser la fabrication programmée des dernières élections en rejoignant les Insoumis et en ouvrant un véritable possible avant que de signer sa reddition et d’acter sa petitesse à 6%.
Attention je ne dis pas que sauter dans le grand vide de l’ l’histoire est facile. Je ne sais pas ce que je serais capable de faire face au mur de la destinée et dans le vertige de l’hybris. Ce que je dis c’est que certains hommes confrontés à un moment propice du réel deviennent immenses et d’autres demeurent petits, voire rétrécissent.
Pour Tsipras et Hamon l’affaire est entendue. On sait ce qu’ils valent à l’échelle de la plus ou moins grande histoire et l’on sait aussi que le facteur de cette histoire là ne sonnera pas deux fois. L’histoire ne repasse pas deux fois les plats ou alors comme l’écrivait Marx, si l’Histoire se répète, la première fois, c’est une tragédie, la seconde une comédie…
Ces deux personnalités sont peut-être des personnes estimables, sympathiques, humaines, gentilles avec les enfants, douces avec les animaux et éventuellement sincères et convaincues, ils ne sont simplement pas des personnages du grand roman humain, pas à la hauteur des grands déchaînements historiques.
Il y a les nains, il y a les géants, ceux qui sont faits pour les petites histoires, les arrangements, les compromis pourris et ceux qui sont destinés à la grande, se transcendent, se subliment, s’arrachent à leur condition, à tout risquer quitte à tout perdre.
Dans l’instant effroyable des grandes décisions, il n’y a de place ni pour les velléitaires ni pour les pusillanimes.
Même juchés sur des poubelles, les timorés de la petite histoire ne font pas la grande.