Il est assez rare d’aimer autant l’œuvre que l’homme.
Il se trouve que l’artiste peut être fascinant, son œuvre éblouissante et l’homme au quotidien parfaitement gerbant ou méprisable.
En ces temps confus et maurassiens, il est bon de rappeler qu’aimer l’écriture de Céline, le cinéma de Polanski n’impose heureusement pas d’apprécier la personne.
L’homme n’est pas l’œuvre, comme Lolita ou Alice au pays des merveilles n’est pas la pédophilie. On peut avoir de l’admiration pour le génie et du dégoût pour le personnage.
L’homme comme l’œuvre évolue. Il a ses ombres ses lumières, ses périodes lumineuses et ses médiocrités.
J’ai été foudroyé par l’Extension du domaine de la lutte de Houellebecq avant que ses romans suivants ne me tombent des mains puis me foutent la gerbe.
J’ai un immense respect pour l’humanité et la pudeur de JMG Le Clezio mais j’avoue n’avoir jamais réussi à finir un de ses romans.
Si un créateur a tous les droits, celui de transgresser, de déranger, de fantasmer, de manipuler, de violer, de tourmenter…d’exprimer sa monstruosité et de la sublimer, l’homme en revanche a des devoirs et son statut d’artiste n’excuse en rien ses comportements civils.
On peut être un génie et un con.
Il ne s’agit pas d’être un honnête homme pour être un grand créateur. Un chef d’œuvre ne se fait pas avec de bons sentiments, la vertu ne fait pas la grande littérature, pas plus que l’histoire du monde.
Il faut du vice. Il faut du sale, il faut de la cruauté, de l’amer, de l’acide, du miel et du sucré peut-être mais ni du mielleux ni trop de sirupeux.
Il est assez rare d’aimer autant l’homme que l’œuvre.
Pourtant ça arrive.
Aki Kaurismaki.
Le personnage est attachant, simple, fondamentalement humain, authentique, brut, honorable mais pas lisse, asocial mais fraternel, désespéré et drôle, charismatique et détaché.
Si l’homme engagé est à la fois taiseux et bavard, son œuvre n’est ni pontifiante, ni démonstrative ni chiante. Elle a la politesse de la poésie, d’un esthétisme décapant, froid, parfois clinique mais finalement d’un noir profond et léger.
Burlesque.
Ce n’est pas par hasard si la dernière apparition du magnifique Pierre Etaix est dans « Le Havre » l’avant dernier film du finlandais.
C’est justement le côté sombre et radical, de l’homme qui rend les films de Kaurismami si lumineux, si espiègles.
Il a le point de vue moral, jamais moraliste ou donneur de leçon, plutôt taquin.
Kaurismaki aime la musique, aime les images, aime les gens, les acteurs, l’amour, la clope, l’alcool, la vie quoi, et c’est pourquoi sans doute il la fuit et la transcende.
Comment l’homme Aki, comme le créateur Kaurismaki connait la grâce de faire de tant de laideur quelque chose d’aussi beau ?
Peut-être l’évidence rare d’être homme et artiste tout en un.