Il fallait saboter l’alliance Moscou-Berlin pour empêcher une intégration économique plus poussée qui aurait rapproché les continents pour former la plus grande zone de libre-échange du monde. Washington devait empêcher cela afin de préserver sa mainmise économique sur l’Europe et ce qui reste du ‘privilège’ du dollar.
Selon Politico , alors que les Etasuniens se rendent aux urnes dans un contexte de changements géopolitiques dynamiques, « autour du siège de l’Europe dans la capitale belge, les responsables sont plus enclins à hausser les épaules qu’à s’inquiéter de la possibilité que les républicains reprennent le contrôle du Congrès ».
Ce qui leur échappe, c’est que les changements d’événements à venir sont à long terme et structurels. C’est-à-dire qu’ils relèvent de la physique, et non du langage et des codes de pensée dont les Européens pensent qu’ils peuvent transcender les dures réalités. Même l’hebdomadaire Politico (favorable à l’UE) suggère que cette attitude blasée pourrait être un nouvel exemple de l’incapacité de l’Europe à bien réfléchir.
La récente excursion d’Olaf Scholtz à Pékin est emblématique de ce style de politique ‘code de pensée’ qui part du principe que ce dernier prime sur les changements structurels. L’approche de Scholtz se résume ainsi : ‘un’, nous avons perdu la Russie comme source d’énergie bon marché ; « deux », on ne peut attendre de l’Allemagne qu’elle abandonne sa relation spéciale avec la Chine ; et ‘trois’, nous, en tant qu’Europe, attendons de vous (la Chine) que vous vous pliez à nos ‘règles’ en matière de facilité d’accès à vos marchés.
L’audace est étonnante. Le problème est que, lorsque vous ne pouvez plus obtenir de gaz russe bon marché et que les Etasuniens - vos nouveaux ‘meilleurs amis’ - ne vous laissent pas exporter des produits d’ingénierie ou des technologies sensibles vers la Chine, votre relation spéciale avec la Chine prend fin prématurément. Vous (Scholtz) n’avez pas réfléchi à tout cela.
En d’autres termes, les États-Unis poursuivent une stratégie géopolitique bipartisane visant à freiner l’ascension fulgurante de la Chine et à préserver le rôle dominant US dans l’ordre mondial. Peut-il y avoir le moindre doute à ce sujet ?
Non, aucun. C’est pourquoi le monde se sépare en deux blocs commerciaux distincts et en guerre. C’est pourquoi nous assistons au retour en arrière de l’après-guerre et à une perturbation massive des chaînes d’approvisionnement. Et c’est pourquoi l’Europe a été précipitée dans la crise et la désindustrialisation forcée.
Toutes ces politiques ont été concoctées dans un seul et unique but : maintenir la place exaltée des Etats-Unis d’Amérique dans le système mondial, à un moment où son modèle économique prédateur d’impression monétaire « Titanic » à taux d’intérêt zéro a été percé par un iceberg, connu sous le nom d’inflation accélérée !
Contenir la Chine est l’objectif explicite des Etats-Unis. Pas plus tard que ce mois-ci, Biden a lancé une véritable guerre technologique et des puces contre la Chine, afin d’arrêter son ascension fulgurante. L’Allemagne (l’UE) n’a apparemment pas remarqué. Ou, si elle l’a fait, elle a simplement haussé les épaules et n’a rien dit.
Une fois de plus, Politico nous apprend que la plupart des responsables européens prévoient « plus de la même chose » après les élections de mi-mandat : « Après tout, Biden sera encore président jusqu’au début de 2025 au moins. Et sur la question la plus urgente, le soutien à l’Ukraine, les responsables européens soulignent que les républicains et les démocrates sont largement d’accord ». Ah oui ?
Bien sûr, depuis deux décennies, la politique étrangère US s’articule autour de son ‘pivot vers l’Asie’. Cependant, la force et l’influence de la Chine sont sur le point de lui permettre de régler les différends régionaux en sa faveur et de supplanter le leadership US.
La guerre par procuration de Washington en Ukraine doit donc être comprise non pas comme une guerre de valeurs - comme l’UE la projette - mais plutôt comme un missile de croisière lancé sur la Chine, et non sur la Russie. En substance, le consensus de politique étrangère de Washington considère la Russie comme un obstacle à son plan de ‘pivot’ asiatique, qui consiste à encercler, isoler et affaiblir la Chine.
En résumé, la ‘voie royale’ vers Pékin est perçue à Washington comme passant par Moscou. La réponse de l’OTAN à l’Ukraine est ‘une lettre’ à la Chine concernant Taïwan.
L’Europe ne voit-elle pas le problème ? C’est que VOUS faites partie du problème (de ce point de vue), et que vous n’êtes en aucun cas une solution - sauf sous un aspect (en tant que membre permanent de la sphère dollar).
L’alliance Moscou-Berlin - qui était mutuellement bénéfique et essentielle à la prospérité de l’Allemagne (et de l’UE) - a dû être sabotée pour empêcher une intégration économique plus poussée qui aurait rapproché les continents pour former la plus grande zone de libre-échange du monde. Washington devait empêcher cela afin de préserver sa mainmise économique sur l’Europe et ce qui reste du ‘privilège’ du dollar.
Eh bien … mission accomplie (Nord Stream « is done » [c’est fait]).
Vous ne comprenez toujours pas ? L’Europe est le meilleur ami des Etats-Unis d’Amérique ; alors pourquoi les Etats-Unis d’Amérique l’affaiblirait-elle ? En fait, l’objectif n’était pas particulièrement d’affaiblir l’UE en soi. Ce qui importait ici, c’était de garder l’Europe comme un marché captif pour les intérêts commerciaux US, et de ‘faire sauter’ (littéralement) toute perspective que l’UE devienne la queue d’un colosse eurasien émergent.
Et Scholtz a vraiment imaginé que l’Allemagne pouvait espérer conserver son arrangement spécial avec la Chine ? Il semblerait que oui.
Mais tout va bien en réalité, puisque la sagesse de Bruxelles repose sur « la confiance que les parlementaires américains non seulement ne réduiront pas, mais augmenteront et rendront plus efficace le soutien à l’Ukraine » (encore Politico).
Vraiment ? L’Europe ne parvient pas à réfléchir - une fois de plus. Répétez après moi : L’Ukraine est une stratégie pour affaiblir la Russie. Mais cela ne fonctionne pas. C’est plutôt l’Ukraine qui, comme le note Larry Johnson, est en train de devenir un « crack addict », entièrement dépendant de son "fournisseur" occidental.
L’Ukraine n’a plus la capacité de produire ses propres armes, d’organiser des entraînements massifs de troupes sur son propre territoire, d’assurer l’approvisionnement en électricité des grandes villes ou de maintenir une économie viable. Si l’aide de l’Occident est interrompue ou coupée - alors l’Ukraine ne sera plus en mesure de continuer à combattre les Russes.
Que se passe-t-il ensuite ? Comme d’habitude. L’Ukraine, en tant que ‘vaisseau amiral’ de la démocratie libérale, coulera sous les flots, et plus vite que le Titanic - tout comme le grand projet d’apporter la modernité en Afghanistan. Il a coulé en 11 jours seulement. Peu de gens aujourd’hui pleurent son décès.
Chère Bruxelles, réfléchissez bien. La politique US peut pivoter en un instant. Gardez à l’esprit que l’Ukraine ne sert qu’à affaiblir la Russie. Est-ce le cas maintenant, ou pour l’hiver à venir ?
Si le Washington Post pro-Ukraine est capable de ‘lire dans les entrailles politiques’, l’Union européenne devrait pouvoir en prendre note. En effet, avec le retour très probable de Trump sur le devant de la scène (il semble qu’il pourrait bientôt annoncer sa candidature à la présidentielle de 2024), les vents vont changer de direction à Washington :
« Je vois juste un train de marchandises arriver, et c’est Trump et ses opérations qui se retournent contre l’aide à l’Ukraine », a déclaré le sénateur Chris Murphy sur MSNBC le mois dernier. « Les Républicains de la Chambre des représentants, s’ils devaient prendre la majorité, étant contre tout ce que Joe Biden soutient - y compris la guerre en Ukraine - il y aura une véritable crise, car la majorité républicaine de la Chambre des représentants refusera de soutenir une aide supplémentaire à l’Ukraine ».
Qu’en serait-il d’une Europe désindustrialisée ? Je ne veux pas entendre la réponse. (C’est-à-dire la Russie entre 1992 et 1999 ?)