Tout est incertain pour les États-Unis. Pourtant, partout dans le monde, les gouvernements examinent de près les entrailles pour trouver des signes de ce que pourrait être la politique étrangère après novembre. Il y a tant de choses qui s’y rattachent. Mais c’est un peu comme si l’on tentait de cerner les nuages qui passent – car quel que soit le résultat en novembre, la partie perdante ne sera probablement plus jamais la même ; et de même, la partie gagnante ne sera probablement plus jamais la même non plus. Enfin, s’il y a un « vainqueur ».
Et ce dernier dénouement est une possibilité réelle : c’est-à-dire qu’aucune des parties ne pourra faire certifier sa victoire au niveau national. Cela pourrait se produire si « l’un » des candidats revendique une avance de 270 délégués du Collège Électoral, mais que « l’autre » revendique une « légitimité » populaire après avoir remporté le vote populaire (tout en restant en deçà de la majorité au Collège Électoral). Il ne fait guère de doute que le décompte des voix, ou les soupçons de fraude électorale, seront, à cette occasion, contestés dans de nombreux États, jusqu’à la Cour Suprême.
Les États-Unis ont une longue histoire de fraude électorale. Et c’est pourquoi les bulletins de vote par la poste et par correspondance sont un sujet si brûlant. Mais cette fois-ci, les contestations judiciaires risquent de se transformer en véritable tsunami, car il faudra des semaines pour les résoudre devant la Cour Suprême (bien qu’elle ait une certaine légère tendance républicaine). Les allégations de fraude électorale peuvent être exacerbées par la probabilité que les votes du GOP soient comptés tôt (les Républicains votent traditionnellement en personne), donnant l’impression d’une avance précoce, mais avec des votes par correspondance bleus (controversés) qui arrivent et sont comptés plus tard. Et peut-être que cela changera le tableau d’une manière ou d’une autre.
Hilary Clinton a déjà averti que Biden ne devrait en aucun cas concéder l’élection. Contrairement à Al Gore, le candidat démocrate à l’élection de 2000, qui a concédé à contrecœur sa défaite après des semaines d’âpres batailles juridiques sur le comptage des votes contestés dans l’État de Floride.
Gore avait remporté le vote populaire national par plus de 500 000 voix, mais le revirement en Floride a donné à Bush les 271 délégués du Collège Électoral dont il avait besoin pour être certifié vainqueur, et il est devenu Président. Gore était profondément déçu, et avait fortement désapprouvé le verdict de la Cour Suprême (rancœur partisane, disait-il) qui mettait fin à sa campagne.
Et bien, le verdict sera à nouveau partisan, et amer. L’enjeu ne pouvait être plus important. Pelosi a qualifié les Républicains « d’ennemis nationaux » de l’intégrité électorale et « d’ennemis de l’État », ce qui, en conjonction avec le dicton de Clinton « ne pas concéder l’élection », sonne plutôt comme si le précédent de Gore était définitivement « oublié » pour le Parti Démocrate. La stratégie semble être en place. Pelosi a fait part de ses attentes concernant les conséquences dans une interview de juillet, lorsqu’elle a indiqué qu’elle pourrait devenir la prochaine Présidente des États-Unis.
Ce qui se passe ici, c’est qu’il s’agit de l’Amendement à la Constitution US numéro vingt (section trois) :
« … si le président élu ne remplit pas les conditions requises [c’est-à-dire qu’il n’y a pas 270 délégués certifiés comme étant valides et légalement corrects], alors … le Congrès peut, en vertu de la loi, prévoir le cas où ni le Président élu ni le Vice-Président élu ne remplissent les conditions requises, et déclarer qui agira alors comme Président … ».
L’essentiel est de savoir si un candidat a réuni 270 délégués certifiés à la date limite du 20 janvier, date à laquelle le mandat présidentiel commence selon la loi. Sans cela, le résultat de l’élection ne peut être certifié au niveau national, et à midi le 20 janvier, le Congrès élira alors un Président (et le Sénat, le Vice-Président). Bien entendu, si l’un ou l’autre des candidats devait faire table rase des délégués du Collège Électoral, les bulletins de vote contestés pourraient alors jouer un rôle insignifiant. Mais si, dans un État après l’autre, les résultats des scrutins sont contestés, un résultat certifié ne peut pas être obtenu avant le 20 janvier.
Il s’agit donc d’une véritable mine terrestre – une parmi d’autres encerclant les cygnes noirs, pour ainsi dire – qui pourrait changer le cours des résultats électoraux – comme, par exemple, l’évolution de la pandémie (et la manière dont elle est gérée, ou mal gérée) ; si la bourse US (ou plus exactement certains de ses segments) peut continuer de léviter sans cesse grâce à la Fed à des valorisations toujours plus extrêmes. (Trump s’est rendu particulièrement vulnérable à l’effondrement du marché, en vertu du fait qu’il signale chaque hausse du marché). Et les deux parties ont des électorats qui ne croient tout simplement pas – ou n’acceptent pas – que l’autre partie puisse gagner de manière équitable. La question de savoir ce qu’ils feraient à ce sujet est ouverte.
En bref, le mois de novembre ne résoudra peut-être pas grand-chose et laissera les Etats-Unis d’Amérique sans gouvernail et à la dérive dans une forte houle.
La convention Trump (une convention très personnalisée) était explicitement axée sur son sens du spectacle. Pourtant, beaucoup ont été impressionnés par sa mise en scène soignée – comme lorsque, à la fin, le ciel de Washington a explosé sous les feux d’artifice. Spectacle : La « main » expérimentée de la télévision réalité était évidente. Le spectacle était le thème de la convention – un optimisme diabolique – au milieu de l’étalage de la puissance US ostentatoire.
Un commentateur a suggéré que « tout cela donnait une étrange connotation monarchique à ce qui était par ailleurs une affaire très étasunienne, car l’art du spectacle de la famille Trump était associé au pouvoir de l’État ». C’était peut-être un peu inconvenant et éloigné des doctrines des précédents, mais personne ne semble se soucier outre mesure des précédents, en ces temps étranges de coronavirus.
Sans aucun doute, le GOP avait l’avantage du divertissement, mais ce qui est peut-être plus significatif, c’est le retour aux racines républicaines. Trump a abordé des thèmes de politique étrangère :
• « Joe Biden a passé toute sa carrière à externaliser leurs rêves et ceux des travailleurs étasuniens, à délocaliser leurs emplois, à ouvrir leurs frontières et à envoyer leurs fils et leurs filles se battre dans des guerres étrangères sans fin, des guerres qui n’ont jamais pris fin ».
• « Contrairement aux administrations précédentes, j’ai tenu l’Amérique à l’écart des nouvelles guerres, et nos troupes rentrent au pays ».
• « Nous aurons des frontières solides. Et je dis depuis des années que sans frontières, nous n’avons pas de pays. Nous n’avons pas de pays. Il faut frapper les terroristes qui menacent notre peuple et tenir l’USA à l’écart de guerres étrangères interminables et coûteuses ».
Bien sûr, ces sentiments ne sont pas nouveaux. Ils ont été prononcés par lui en 2016. Mais l’essentiel, c’est qu’ils renvoient à une pensée conservatrice plus traditionnelle, proche de celle d’Edmund Burke. Et ils pourraient – s’ils sont suivis d’effet – marquer un changement par rapport aux politiques dans lesquelles les néo-conservateurs ont exercé une grande influence.
Il est également vrai que la rhétorique de Trump n’a pas eu beaucoup de retombées politiques, en particulier au Moyen-Orient et en Asie occidentale. Néanmoins, il y a eu un certain suivi. Outre les réductions de troupes ici et là, Trump a, à plusieurs reprises, résisté aux appels à la hausse de la pression sur l’Iran, à l’exception des fois où il a tiré sur les Tomahawks en Syrie et assassiné le Général Qasem Soleimani.
Trois vecteurs de la politique de Trump sont évidents : Premièrement, il cherche à se concentrer sur les questions intérieures plutôt que sur la politique étrangère ; deuxièmement, la géopolitique est vue principalement à travers une lentille mercantiliste, et non celle de la puissance militaire – et que s’il est contraint à une réponse cinétique, Trump préfère un « spectacle » pyrotechnique (similaire aux feux d’artifice de la convention), plutôt que d’allumer la mèche de la guerre.
En théorie, la Chine devrait également être considérée à travers le prisme mercantiliste, mais ce n’est pas le cas. Il existe un consensus bi-partisan si écrasant au sein de Washington (à peu près le seul consensus qui existe aujourd’hui), que le mercantilisme (et la guerre du Trésor) doit renforcer l’endiguement militaire de la Chine et son isolement diplomatique.
Passons maintenant à la réalité : Trump est congénitalement partisan (et sectaire) au Moyen-Orient. Il n’a aucune empathie pour la région et ne peut tout simplement pas comprendre pourquoi l’argent et les « affaires » ne peuvent pas être une solution à tous les problèmes. Il rate rarement une occasion d’essayer de faire tomber l’Iran ou de gonfler le rêve d’un Grand Israël.
Oui, les États-Unis se retirent progressivement – laissant derrière eux une région plus fissurée et plus rancunière, dont une partie a été poussée précisément par cette partisanerie acerbe des États-Unis de plus en plus vers l’axe d’évolution chinois et russe. Une autre partie – un dernier avant-poste des « fidèles américains » – craint désormais d’être abandonnée et s’accroche aux ficelles du tablier israélien (dans l’espoir de trouver un abri). Ce n’est pas une situation saine : trop d’animosité, trop de fragilité. Et elle va à l’encontre des nouvelles réalités en matière de pouvoir et de dissuasion : Le Moyen-Orient a été transformé en « bois sec » pour que tout feu de broussailles localisé se transforme en incendie.
L’élément le plus frappant, cependant, du passage à la retenue évoqué dans le discours de Trump à la convention, a été l’exode concomitant de néoconservateurs éminents du Parti Républicain, et aussi, le retour en crabe de la Maison Blanche à une position militaire plus modérée (encore une fois, la Chine mise à part). Mais ce n’est pas noir ou blanc, car il reste de nombreux interventionnistes et faucons au sein du parti, dont Nikki Haley, Dan Crenshaw et Tom Cotton.
Et où sont passés tous les néo-conservateurs ? Ils sont partis à la guerre – tous. La rédactrice en chef du journal The American Conservative, Kelly Beaucar Vlahos, a averti que nous risquions de ne pas remarquer les néo-conservateurs « des loups, habillés en NeverTrumper, qui reniflent le cercle de politique étrangère de Joe Biden, déterminés à influencer sa politique à l’égard de la Chine – et plus encore ».
« Les Républicains Never-Trumper se sont immiscés dans la campagne de Biden, proposant de donner de la chair à sa « coalition » avant l’élection, et s’immisçant dans les discussions de politique étrangère, notamment sur la Chine. Compte tenu de leur histoire commune avec les interventionnistes libéraux déjà en campagne [notamment l’équipe anti-Poutine], ne pensez pas une seconde qu’il n’y a pas de néoconservateurs affamés parmi eux qui essaient d’obtenir un siège à la table des négociations ».
On dit qu’ils se concentrent sur « l’échec de l’accord commercial avec la Chine » et sur la prétendue « position faible » de Trump. En fait, les stratèges républicains font pression sur l’équipe Biden pour qu’elle « surpasse » Trump sur la politique hawkish chinoise en adoptant une ligne plus dure que celle du Président. En d’autres termes, la campagne se met en place pour déterminer qui sera le plus dur envers la Chine – et qui se battra sur la plate-forme clé du Président.
Vlahos fait remarquer que « s’ils ressemblent à la partie molle du flanc droit, détrompez-vous ! Ces types sont des membres fondateurs du consensus de politique étrangère de Washington, mélangés à des néoconservateurs comme Eliot Cohen et Robert Kagan (sa femme Victoria Nuland était une des principales responsables néoconservatrices au Département d’État de Clinton) et qui ont méprisé Trump depuis le début. Ils pensent que sa politique étrangère d’America First est « profondément malavisée » et conduit le pays à la « crise ».
Alors, où cela mène-t-il les États-Unis ?
Eh bien, pas dans une meilleure position – que ce soit pour la Chine ou le Moyen-Orient. Pour ce qui est de la Chine, l’escalade de la guerre froide est en fait un coup monté pour les deux grands partis. Peut-être que cela restera limité et contenu ; peut-être pas.
Trump aimerait probablement la première solution, mais attention, il y a encore un autre « cygne noir » dans les airs. Dans la dernière mise à jour de ses perspectives budgétaires pour 2020-2030, le Bureau du Budget du Congrès (CBO) a déclaré qu’il prévoit maintenant un déficit budgétaire fédéral de 3,3 billions de dollars en 2020, « plus du triple du déficit enregistré en 2019 » en raison de la perturbation économique causée par le coronavirus 2020. Le CBO prévoit en outre que la dette américaine atteindra un niveau record de 107% du PIB en 2023 … Et qu’elle explosera ensuite.
C’est la plus grave de toutes les mines terrestres : Explosion, dette insoutenable. Qu’est-ce qui soulage une dette qui explose, associée à un taux de chômage élevé ? … La guerre ! Les faucons tournent en rond au-dessus de la Chine.
La Chine le comprend et se prépare stratégiquement. Tactiquement, nous soupçonnons que la Chine joue au lapin de Breer : elle garde la tête basse, joue habilement à Washington et essaie de laisser passer les élections de novembre avant de faire des choix irréversibles. La Chine serait sage de ne pas s’attendre à un changement ou à une diminution de l’hostilité des Démocrates, si Biden était élu Président. Ces « loups » néo-conservateurs ne sont pas restés inactifs dans le camp de Biden.
Ambrose Evans-Pritchard écrit :
« La course mondiale aux armements dans le domaine des technologies vertes s’intensifie rapidement. Le blitz de 2 000 milliards de dollars des Démocrates sur l’énergie propre est autant une tentative de suprématie des superpuissances qu’une tentative de lutte contre le changement climatique. Il vise directement la Chine. Les mots « Buy America » (achetez US) sont présents dans le texte de la plate-forme du Parti Démocrate. Le plan Biden ressemble peut-être à l’ancien New Deal vert de la gauche radicale US, mais il n’en est rien. Il est musclé et sent la politique de grande puissance, presque le reflet des documents stratégiques nationalistes de Xi Jinping.
Si Biden parvient à faire table rase en novembre, les États-Unis s’engageront à atteindre un niveau d’émissions net de zéro d’ici 2050, et un niveau net de zéro dans le secteur de l’électricité d’ici 2035. Il le fera en tant qu’arme de la politique commerciale et afin d’éviter que les États-Unis ne perdent pied sur le marché des technologies propres du XXIe siècle.
Les États-Unis et l’Union Européenne s’aligneront à nouveau sur l’Accord de Paris… Ils prévoient tous deux une taxe d’ajustement aux frontières sur le carbone afin d’exclure de leurs marchés les contrevenants de « Paris », une politique qui a été considérée – ce qui est révélateur – comme une guerre économique par les responsables chinois au début de l’année.
Biden déclare que son objectif est de mettre au pas les « hors-la-loi économiques mondiaux ». Presque du même souffle, il affirme que l’objectif de la taxe frontalière est de « tenir la Chine pour responsable ». »
Et au Moyen-Orient, quiconque espère un assouplissement de la politique US envers l’Iran ou un retour à des alliances multilatérales, si Biden gagne, place peut-être trop d’espoir dans la capacité de Bernie ou de « The Squad » à atténuer les arêtes vives du Consensus de Washington. C’est trop évident : les néoconservateurs du « Consensus de Washington » sont beaucoup plus « rouges dans leurs dents et leurs griffes » que les membres de la Bernie-Squad. Et tous les premiers se sont engagés à maintenir, voire à étendre, l’empreinte de des Etats-Unis au Moyen-Orient. Ce sera naturellement unilatéral, plutôt que multilatéral.
Et donc, en fin de compte : Alors que les élections de novembre étaient auparavant perçues comme un référendum sur Trump, les événements ont évolué. Les électeurs ont saisi une vérité importante : les troubles civils dans les villes des Etats-Unis d’Amérique ne sont pas une « question secondaire ».
Elle est devenue le point de mire de tous les Etasuniens, quel que soit leur camp. Pour Trump, c’est une question risquée à exploiter, car elle se produit « sous sa surveillance ». Mais l’ordre public est déjà en jeu. Pour Biden, déchiré entre ses instincts personnels et une base politique qui veut littéralement défaire la police, le défi est sans doute bien plus grand.