Finalement, la TICAD 8 est derrière nous avec ses désillusions et insuffisances au niveau de la participation, des incidents qui ont émaillé son déroulement et des résultats dont il faudra décortiquer la véritable portée et la valeur ajoutée pour la Tunisie en termes d’image et d’investissements.
Il faut reconnaître que plusieurs facteurs ont joué contre une réussite retentissante de la TICAD 8, notamment la transition démocratique interminable en Tunisie et les incertitudes au sujet de l’environnement social et réglementaire des affaires, la conjoncture internationale tendue en Europe et en Asie aux portes du Japon, de même que la réalisation par les pays africains des limites du schéma classique de l’aide internationale au développement et l'érosion de l'enthousiasme des trois dernières décennies envers la TICAD lancée depuis 1993.
La TICAD 8 a connu un succès en deçà des espérances objectives et non des illusions des exaltés qui s’attendaient à une pluie de dons et d’investissements et qui y croient encore malgré la précision, a valeur de mise en garde, du président de la JICA, l'agence japonaise d’aide au développement international, qui a conditionné tout financement japonais à la conclusion par la Tunisie d’un accord avec le FMI.
La TICAD a même écorné davantage l’image internationale de la Tunisie par l'atmosphère d’expectative et d'incertitude des opérateurs privés tunisiens ainsi que les retombées de l’accueil en grande pompe et sans précédent dans les annales diplomatiques tunisiennes du soi-disant président sahraoui suscitant une polémique avec le Maroc et l'organisateur japonais ainsi que de nombreuses délégations africaines et la présidence sénégalaise de l’Union Africaine.
Réalisant l’impact négatif sur les autorités et l'opinion publique marocaines, les services de la présidence de la république tunisienne semblent avoir voulu faire machine arrière en éditant l’enregistrement vidéo de l'accueil et de la rencontre du président Kaïs Saied avec le soi-disant président sahraoui notamment pour le délester de toute qualité officielle. Ceci a pu donner aux marocains et aux observateurs une impression de cafouillage.
Cet incident a fini par dominer la TICAD 8 et a tourné à l’escalade avec le Maroc notamment par l’annulation de la participation marocaine et le rappel des ambassadeurs respectifs.
Certains en Tunisie ont reproché au Maroc la virulence de sa réaction et ont égrené un chapelet de reproches à l'encontre des autorités marocaines allant de profiter de l'instabilité en Tunisie après la révolution à la normalisation avec Israël comme si la TICAD était l'occasion de faire expier au Maroc ses supposés péchés envers la Tunisie et la cause palestinienne.
De nombreux exaltés ont feint d'oublier que le Maroc est un pays frère et voisin, siège de l’Union du Maghreb Arabe et membre actif de l’Union Africaine et de la Ligue des Etats Arabes et qu'il n'a pas de comptes à rendre à la Tunisie au sujet de ses relations avec Israël et que si ces relations causaient un préjudice quelconque à la cause palestinienne, il reviendrait à la direction palestinienne ou la Ligue Arabe de se prononcer comme elles l'ont fait jadis après la conclusion par l’Egypte des accords de Camp David.
Après le départ des délégations japonaise et africaines, nous nous trouvons, par un mauvais calcul et une défaillance de la diplomatie et du protocole, dans une escalade grave avec le Maroc qui va accentuer l'instabilité de la région du Maghreb et exacerber l’isolement international de la Tunisie en intensifiant un tête à tête inégal avec l'Algérie qui a ses propres velléités, priorités et défis qui ne coïncident pas nécessairement avec les nôtres.
La Tunisie a ainsi compromis sa capacité d'intermédiation et d’apaisement des tensions au Maghreb et a renoncé à la carte de l'équilibre entre les deux puissances régionales qui lui permettait de tourner à son profit son désavantage territorial et démographique vis-à-vis de ses deux grands voisins qui se disputent l'hégémonie de la région.
En dépit des arguments et contre arguments au sujet de la légalité et de la légitimité de la participation de la délégation sahraouie a la TICAD 8, il est incontestable que l'accueil en grande pompe du soi-disant président sahraoui était au mieux un mauvais calcul et au pire une déstabilisation supplémentaire de la sous-région du Maghreb déjà tendue et le dernier clou dans le cercueil de l’UMA.
L’heure maintenant est à la diplomatie tunisienne de procéder à l'apaisement et a un retour sincère à ses fondamentaux notamment au sujet du Sahara occidental et des relations avec les voisins et frères maghrébins.
Il est grand temps de procéder à la rénovation et la reprofessionnalisation de la diplomatie tunisienne en direction, en personnel et en moyens d’action pour tourner définitivement la page de la Troïka de triste mémoire et ses reliques au nord Hilton et rétablir la sérénité, le respect mutuel et l'efficacité requise dans nos relations avec nos voisins maghrébins de même que nos partenaires arabes, africains, européens et américains.
L’impair, car c’en est incontestablement un, avec le Maroc et les organisateurs et participants de la TICAD 8 doit être pris comme un signal d’alarme pour corriger au plus vite la conception et la conduite de notre diplomatie à Carthage, au Nord Hilton et dans nos ambassades a l’étranger.
La participation des ministres tunisien et marocain des affaires étrangères au cours des prochaines semaines à New York aux travaux de l'assemblée générale de l’ONU devrait permettre une rencontre tuniso-marocaine pour apaiser les esprits et renouer un dialogue fraternel et de confiance qu’imposent l’histoire et le destin communs des deux pays. Entretemps, les excités et les exaltés des deux côtés devraient être invités à baisser le ton et ne pas envenimer l'atmosphère entre les deux pays frères.
Il y va de la stabilité de notre région et surtout de l'intérêt vital de la Tunisie dans cette phase critique de son histoire d'éviter toute polémique et de concentrer tous ses efforts sur la relance économique et la coopération internationale susceptible de l’aider à mobiliser le maximum de soutiens internationaux.
Le véritable patriotisme ne consiste pas à enflammer les passions et à insulter les amis au moindre malentendu mais a savoir garder sa sérénité malgré les malentendus et les ressentiments qui doivent rester passagers et sans conséquence sur les intérêts communs et les liens qui nous unissent.
La Tunisie qui s'enorgueillit de plus de trois mille ans d’histoire doit pouvoir surmonter l'émotion du moment et avoir une vision à long terme de ses relations avec son voisinage.