Le discours politique à Washington et en Europe commence à donner l’impression que le risque d'effondrement de la Tunisie est dû à l’absence d'engagement des autorités tunisiennes à mettre en œuvre le programme de réformes convenu avec le FMI au niveau des experts.
Les déclarations américaines et européennes sur la disponibilité immédiate de l’assistance requise par la Tunisie pourvu que cette dernière s’engage à mettre en œuvre le programme de réformes semble vouloir faire assumer la responsabilité du blocage actuel et de toute évolution négative à l’absence d’engagement et d’appui de la direction politique tunisienne à ce programme de réformes avec son train de mesures douloureuses.
A tort ou à raison, cette perception et le message politique sous-jacent semblent vouloir faire assumer cette responsabilité au président Kaïs Saied car c’est lui qui a nommé le gouvernement et exerce le pouvoir de contrôle total sur l'exécutif avec un législatif au pouvoir réduit.
Cette perception est incomplète car elle occulte la capacité de résistance et d’inertie des rentiers sociaux et économiques en Tunisie qui feront tout et semblent même prêts au pire pour bloquer le changement et les réformes.
A ce titre, il serait utile de rappeler l’interview accordée au quotidien le Monde en juillet 2019 par Patrice Bergamini, l’ancien ambassadeur de l'Union Européenne à Tunis, qui avait suscité un tollé monumental en Tunisie bien qu’il ait énoncé des vérités que les Tunisiens commencent avec de plus en plus de réalisme et de courage à dire.
“Quelles que soient leurs obédiences politiques, les vainqueurs des prochaines élections législatives et présidentielle seront placés face à un choix : soit ils comprennent qu’il faut faire évoluer un modèle économique faisant la part trop belle aux positions monopolistiques…”…
“Quand on parle de libre concurrence, loyale et transparente, c’est d’abord entre opérateurs tunisiens. Si l’on doit aider la transition économique, la forcer, la pousser, c’est parce qu’il y a des positions d’entente, de monopoles. Certains groupes familiaux n’ont pas intérêt à ce que de jeunes opérateurs tunisiens s’expriment et percent”…”Ce qui est en jeu dans une démocratie, c’est la redistribution : aider à l’enrichissement et à la consolidation des classes moyennes pour tirer vers le haut les plus démunis et rendre moins insupportable le fossé avec les plus privilégiés. Mais c’est difficile de faire bouger les lignes économiques en Tunisie. Plus difficile que de les faire bouger au niveau sociétal”.
Une lecture dépassionnée et dénuée d'arrière-pensées immobilistes sous couvert d’un patriotisme qui privilégie le statu quo et la préservation d’un système de rentes qui craque de toute part, nécessite une relecture de nos rapports avec l’Europe tant à la faveur des séquelles de la pandémie Covid que de la réalisation de la nécessité du repositionnement stratégique et industriel de l’Europe de la Chine et du reste de l’Asie vers son voisinage immédiat.
Au-delà des vulnérabilités et menaces, la situation géopolitique actuelle met à la disposition de la Tunisie d'importants d’atouts de négociation avec l’Europe pourvu que prévalent l’audace, le véritable patriotisme et la volonté sincère d’entamer une nouvelle phase de démocratie et de décollage économique plus équitable et plus inclusif.
L’Europe n’est pas l’ennemi, c’est un partenaire qui a un intérêt vital dans la stabilité et la prospérité de la Tunisie non par altruisme mais pour ses propres intérêts. Il faut en tenir compte et savoir jouer nos cartes pour faire de la menace actuelle une opportunité historique pour un partenariat mutuellement bénéfique gagnant-gagnant entre la Tunisie et l’Europe qui restera malgré tout notre principal partenaire, géographie, histoire et culture obligent.