Un rapport publié par l’Institute for Jewish Policy Research (mars 2025), édité par Daniel Staesky, offre un aperçu détaillé du phénomène de la migration des Israéliens à l’étranger, mettant en évidence les tensions entre l’idéologie sioniste et la réalité de la diaspora juive contemporaine. Le document, qui se concentre sur les données disponibles au 7 octobre 2023, révèle comment le mythe fondateur de l’État d’Israël – à savoir qu’il représente la patrie naturelle et indispensable du peuple juif – est de plus en plus remis en question par les choix migratoires des Israéliens eux-mêmes.
Le rapport commence par un excursus historique qui souligne comment, depuis le premier siècle de notre ère, environ 50 % des Juifs résidaient en Israël, tandis que l’autre moitié vivait dans les régions voisines du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord. Cependant, au fil des siècles, cette proportion a radicalement changé. En 1000 après J.-C., la plupart des Juifs vivaient en dehors du pays qui est maintenant identifié comme Israël. Au Xxe siècle, avec la fondation de l’État d’Israël en 1948, des millions de Juifs – principalement des Ashkénazes (d’origine européenne) – ont immigré en Israël, poussés par l’idéologie sioniste qui proclame Israël comme la « patrie » du peuple juif.
Cependant, le rapport soulève un point crucial : il n’existe pas de « nation juive » en tant que concept historique ou politique. Le sionisme, bien que basé sur le nationalisme, ne peut être assimilé aux mouvements nationalistes qui ont créé des États modernes en Europe et au Moyen-Orient. Cette distinction est fondamentale pour comprendre les tensions inhérentes à l’idée même d’un « État juif ».
Selon les données recueillies au 7 octobre 2023, environ 630 000 Israéliens vivent à l’étranger, contre une population totale de 9,453 millions de personnes en Israël. Ces émigrants sont divisés en deux groupes principaux :
• Groupe A : né en Israël (environ 328 000 individus).
• Groupe B : nés ailleurs mais ayant vécu en Israël avant de déménager à nouveau à l’étranger (environ 302 000 individus).
La majorité des Israéliens à l’étranger sont concentrés dans les pays anglophones, en particulier aux États-Unis, où résident près de 50 % du total. Les autres pays hôtes sont le Canada, le Royaume-Uni, l’Australie et l’Allemagne. Étonnamment, l’Europe abrite près de 30 % des Israéliens à l’étranger, l’Allemagne se distinguant comme la nation européenne avec la plus grande communauté d’Israéliens.
Ces dernières années, une augmentation significative de la population d’Israël a été observée en Europe centrale et orientale, avec des augmentations de plus de 70 % dans des pays tels que les pays baltes, la Bulgarie et la République tchèque. L’Allemagne, le Royaume-Uni et les Pays-Bas ont également connu des augmentations substantielles, allant de 20 % à 40 %.
L’un des thèmes centraux du rapport concerne l’identité des Israéliens à l’étranger. Beaucoup d’entre eux, bien que juifs, ne s’identifient pas nécessairement en termes religieux. Dans les enquêtes démographiques, certaines personnes disent qu’elles n’ont aucune appartenance religieuse, préférant plutôt définir leur identité en termes ethniques ou culturels. Ce phénomène reflète un changement générationnel dans l’approche du judaïsme, qui devient de plus en plus liée à la culture et aux traditions plutôt qu’à la foi religieuse.
Un exemple éloquent est celui d’Itay Garmy, un conseiller municipal d’Amsterdam qui a déménagé à Berlin en 2012, qui a déclaré : « Notre lien avec Israël est plus basé sur la culture que sur la foi. » Cette déclaration souligne comment l’idéologie sioniste, qui proclame qu’Israël est la patrie du peuple juif, est confrontée à un défi croissant de la part de ceux qui recherchent la liberté et la démocratie ailleurs.
Comme l’a observé Aaron Ciechanover, l’un des principaux scientifiques israéliens, beaucoup de ceux qui quittent Israël « veulent vivre dans un pays libre et démocratique ». Cette déclaration met en évidence les contradictions internes de l’État d’Israël qui, bien qu’il se présente comme une démocratie, pousse certains de ses citoyens à chercher ailleurs des valeurs qui semblent faire défaut à la société israélienne.
Antoine Raffoul, commentant le rapport, ajoute une note de contraste historique : « Même sous le génocide le plus horrible des temps modernes, vous ne trouverez pas un seul Palestinien – surtout à Gaza – qui veuille quitter sa terre appelée Palestine. » Cette déclaration met l’accent sur le contraste entre les dynamiques migratoires israéliennes et l’attachement des Palestiniens à leur terre, soulignant davantage la complexité du contexte moyen-oriental.
Alors que les Israéliens choisissent d’abandonner Israël à la recherche de meilleures opportunités, les Palestiniens continuent de résister, malgré des décennies d’occupation et d’oppression. Ce paradoxe soulève de profondes questions sur les promesses du sionisme et son impact sur la vie des deux peuples.
Le rapport conclut en soulignant que les Israéliens à l’étranger représentent une composante de plus en plus importante de la diaspora juive mondiale. Leur présence, en particulier en Europe, s’accroît rapidement, marquant une nouvelle phase de transformation culturelle et identitaire.
Cependant, cette croissance met en évidence les contradictions de l’idéologie sioniste. Si Israël est effectivement la « patrie » du peuple juif, pourquoi tant d’Israéliens choisissent-ils de le quitter ? Et si le sionisme est un mouvement nationaliste, pourquoi ne peut-il pas créer un sentiment d’appartenance durable pour ses citoyens ?
En fin de compte, nous pouvons dire que le rapport offre un aperçu critique de la dynamique migratoire israélienne, posant des questions importantes sur l’avenir du sionisme et les relations entre Israël et les communautés juives à l’étranger. La diaspora israélienne, loin d’être une anomalie, pourrait représenter l’échec même du projet sioniste.