En ne promulguant pas la loi relative à la cour constitutionnelle après demain au plus tard, le président de la République aura définitivement choisi la fuite en avant constitutionnelle. La politique du tout ou rien. Et même celle du pire.
Après le blocage institutionnel de fin janvier, il est en passe d'accomplir une autre seconde forfaiture : le verrouillage constitutionnel.
Après s'être assis sur la Constitution en refusant la prestation de serment à des ministres qu'il est le seul à soupçonner de corruption, alors que de l'avis de la quasi-majorité des constitutionnalistes, il avait "compétence liée", c'est à dire qu'il était en demeure de le faire, le voici, à présent, sentencieux et raide tel un pape moyenâgeux rendant, orbi et orbi, les bulles et excommuniant à tour de bras : ministres, chef du gouvernement, ARP, cour constitutionnelle, etc.
Tout le malentendu vient du fait que Kaïs Saied en choisissant Mechichi, est convaincu que celui-ci doit dépendre de lui pour la simple raison qu'il l'a désigné.
Or, le chef du gouvernement une fois investi ne dévient tributaire que de la volonté du parti ou de la coalition de partis qui domine l'ARP et n'est plus responsable que devant celle-ci. Quand bien même celui qui l'a fait "primus inter pares" jouit d'une forte légitimité électorale.
Pour changer cette donne, il aurait fallu que Saied s'appuie sur un parti ou une coalition de partis. Ce qui est loin d'être le cas. Puisque de parti, il n'en a pas et n'entend pas en créer un.
Il est quand même extraordinaire que le Président de la République, professeur de droit constitutionnel n'ait pas perçu ou assimilé cela.
Pourtant, on attendait juste de lui qu'il fasse en sorte que rien ne vienne gripper l'ordre constitutionnel. En constitutionnaliste, il devrait savoir que le droit constitutionnel n'est rien d'autre que de s'interroger sur la manière de donner aux hommes des règles qui les protègent d'eux-mêmes…
Ainsi, lorsqu'il refuse la prestation de serment de 4 ministres ce n'est pas Ennahdha qu'il paralyse mais le gouvernement de la République.
Quand il renvoie l'amendement organique relative loi à la cour constitutionnelle, ce n'est pas Ennahdha qu'il bloque mais la transition démocratique.
Lorsqu'il déclare vouloir s'arroger le contrôle des forces de maintien de l'ordre, en plus de l'armée, ce n'est pas Ennahdha qu'il menace mais la démocratie.
Ceux qui voient en lui le champion du combat contre Ennahdha vont vite déchanter.
Ce n'est pas l'idéologie de l'islam politique qu'il vise mais sa structuration en parti, comme un autre. Il fera la même chose, c'est à dire une obstruction sourde à tout parti, qui formera une coalition. Que ce soit Ennahdha aujourd'hui ou le PDL demain, s'il sort en tête des prochaines législatives et devait conduire une coalition, il subira les mêmes foucades présidentielles.
Kaïs Saied l'a suffisamment dit et répété, son projet est de détricoter le régime politique mis en place après la révolution et qu'il abhorre. Notamment, cette démocratie parlementaire qui fait une large place au pluralisme des partis.
Donc, il ne faut pas se méprendre sur l'essentiel : ce n'est pas l'islam politique ou je ne sais quelle idéologie que Kaïs Saied combat, c'est tout simplement au système politique représentatif qu'il s'en prend.