C'est un cycle commencé avec la disparition de Béji Caïd Essebsi, le 25 juillet 2019 qui a redistribué les cartes en inversant le calendrier électoral qui s'est terminé avant-hier avec le vote de confiance accordé à Elyès Fakhfakh en tant que nouveau chef du gouvernement. Lequel a saisi avant beaucoup d'autres (excepté N. Karoui dans un autre registre) que nous sommes plus dans une démocratie médiatique qu'électorale, où le nombre de voix obtenues importe peu pour gouverner à la Kasbah.
A ce titre, les exemples foisonnent depuis l'adoption de la constitution de 2014 : Jomaa, Essid, Chahed sont des non-élus pour des raisons diverses, tandis que lui-même est un contre-élu, vu sa participation au 1er tour de la présidentielle.
Une période d'errance institutionnelle va donc s'ouvrir avec un nouveau chef du gouvernement qui va être coincé entre deux pouvoirs : celui de l'ARP devant, laquelle, il est responsable et celui du Président de la République qui l'a expressément choisi.
Au milieu, la perspective d'un conflit institutionnel qui va bientôt sourdre entre ces deux organes de l'Etat.
On connaît tous le profond mépris, voire l'aversion, qu'éprouve Kaïs Saied pour les partis politiques, toutes sensibilités confondues ou presque. C'est un Président sans-parti qui ne veut pas se borner à présider. Il veut gouverner aussi…
Pour ce faire, il s'est choisi un chef du gouvernement sans électeurs, issu d'un parti n'ayant pu placer le moindre député à l'ARP à l'issue de deux législatives de suite. Et qui sortant miraculeusement du purgatoire électoral de l'automne dernier, ne s'est, évidemment, pas fait prier pour répondre à l'appel.
Un véritable pied de nez, sinon un affront, à tout régime démocratique qui se respecte. Il ne fait aucun doute que Kaïs Saied et Elyès Fakhfakh sont des hommes de valeur. Ce n'est pas la question.
Ce qui fait débat et pose question, c'est l'actuel système politique complètement dévoyé, qui a permis que le parti du gouvernement sortant, en l'occurrence Tahya Tounès, double auteur d'un sévère revers électoral puisse être en capacité d'imposer à un Président désemparé et qui n'en menait pas large, le haut responsable d'un parti concurrent (même si entre les cadres de ces deux formations les frontières sont poreuses) et qui lui aussi vient d'essuyer un double échec. Pour être chargé de trouver une majorité parlementaire au sein d'une assemblée morcelée au possible.
Alors quelle sorte d'exécutif sera Elyès Fakhfakh ? : Chef de gouvernement comme le veut la constitution ou plutôt "Chef du gouvernement du Président", concept sorti de l'imagination délirante de quelques activistes-chroniqueurs et repris sans la moindre retenue par les partis qui le soutiennent et considèrent que le Président, en une sorte de monarque républicain, peut transférer sa légitimité politique (sic) à qui il veut et qu'il peut même en faire son héritier (resic).
Depuis quand une légitimité électorale, source essentielle du pouvoir, se délègue-t-elle ? Et sous quels cieux ? Enfin, au nom de quel sophisme démocratique ?