J-3.
Dès mon investiture, je me suis senti dans une dimension messianique. Mon souci était de dire au peuple ce qu'il aime entendre, pas ce qu'il doit entendre... Sauf qu’il me fallait composer avec l'Arp, elle aussi émanation du peuple.
L'épisode Jomli, bureaucrate accompli, déniché par Ghannouchi, pour être ce qu'a été Habib Essid pour Béji Caïd Essebsi , a viré à la pantalonnade parlementaire. Une divine surprise pour moi parce qu'elle m'a permis de prendre la main d'emblée et de peser directement sur le choix de la personnalité qui devait diriger le gouvernement.
Lequel gouvernement, selon mes conceptions, rudimentaires mais carrées, devait être au service de la présidence et non pas de la Nation, encore moins du Parlement.
J'avais donc demandé aux forces politiques siégeant à l'Arp, de me proposer pour ce poste, le candidat le plus 'apte', selon le lexique constitutionnel. A mon grand dam, Echaab et Tayyar, partis supposés êtres les plus proches de ma cosmogonie, dont les dirigeants étaient mes visiteurs du soir au palais, très obséquieux à mon égard dans les médias, et qui formaient ensemble un groupe parlementaire, ont été incapables de s'entendre sur un candidat commun.
C'est à ce moment précis que j'ai réalisé que mon statut d’ex-professeur universitaire ne me sera d'aucun salut, et que je devais avec ces gens-là, me transformer en instituteur…
Dans l'ensemble, les profils que l'on m'a soumis ne reflétaient pas mes vues et me laissaient perplexe. Soit trop politiques, soit trop techniques.
Je me suis donc résolu à choisir, à la pressante instigation de mon entourage, un candidat qui s'est présenté contre moi et qui a obtenu 0,3% des voix au 1er tour et dont le parti a fait légèrement mieux aux législatives 0,7%. Un peu comme si, Macron choisissait en 2017 Cheminade et en 2022 Poutou...
Comprenne qui pourra...
Je n'y pouvais rien, je n'avais aucune connaissance des pratiques démocratiques. Circonstance aggravante, j'ai même toléré la présence en tant que ministre d'Etat, un autre candidat (Abbou) qui lui aussi a mordu la poussière contre moi, lors du premier tour de la présidentielle.
Et le pompon dans tout cela, est que j'ai permis l'entrée dans ce même gouvernement, de deux perdants lors des législatives (Toumi & Hamdi).
A vrai dire, je ne m'en suis même pas rendu compte...
Ce qui en disait long, sur ma méconnaissance royale des principes de gouvernement. Après tout, je n'ai pas la prétention d'avoir étudié à Sc Po et suivi les cours de sociologie électorale d'un André Siegfried…
Lorsque ce gouvernement éphémère (6 mois) dont quelques membres se sont avérés plus habiles prestataires que de dévoués serviteurs de l'Etat, et que d'autres étaient plus attirés par le pouvoir que par la gauche, a été mis sur la sellette et en passe d'être mis en minorité à l'Arp, j'ai pris un malin plaisir à priver notre jeune expérience parlementaire, régime que j'abhorre au demeurant, d'un jalon essentiel.
Celui de la séquence du renversement d'un gouvernement par une majorité, ce qui aurait été un précédent dans le monde arabe, si je ne m'abuse. Tout cela pour garder la main sur le choix du nouveau chef de gouvernement , mon obsession.
Normalement, j'aurai dû passer la main puisque on reprenait tout dès le début.
Mais fort de mes 72%, épithète béatement relayée par des chroniqueurs chevronnés et répète sur toutes les ondes, qui m'a permis de fermer le clapet à tout le monde en imposant mon second chef de gouvernement, au nez et à la barbe de tous les politiciens.
Malgré mon couac précédent…
C’est ainsi que personne n'a pu s'opposer à mon premier coup de canif contre la constitution, qui seront suivis d'autres... Surtout pas les députés, soucieux avant tout de ne pas voir dissoudre l'Arp pour ne pas devoir repasser par la case élection au bout d'une année de législature.
Au bout du compte, l'essentiel est que le métier de président de la République commençait à ne plus avoir de secrets pour moi…