Une guerre hybride appelée à durer

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Les attentats de Bruxelles viennent de rappeler plusieurs vérités qu’il ne sert à rien d’éluder. Ces événements dramatiques nous disent que le terrorisme qui endeuille régulièrement le monde, et pas simplement l’Europe, ne va pas disparaître du jour au lendemain. Malgré les promesses et les déclarations martiales des politiciens, malgré les lois liberticides, malgré le « toujours plus » en matière de législation d’exception, ces tueries qui tétanisent les opinions publiques vont continuer.

Elles vont se répéter tant que la situation restera ce qu’elle est au Proche-Orient et notamment en Syrie et en Irak. Dans son ranch du Texas où il peint à ses heures perdues, l’ancien président américain George W. Bush doit être satisfait de son œuvre magistrale. L’invasion de l’Irak en 2003 continue de tuer. Ses conséquences directes et indirectes tuent en Irak mais aussi en Syrie et ailleurs en Europe. A Londres il y a plus de dix ans, à Paris en novembre et à Bruxelles il y a quelques jours. Dans un monde idéal, cet homme devrait être poursuivi par la justice internationale. Mais passons.

Le terrorisme va perdurer parce que, contrairement à ce que racontent des hommes politiques aux affaires – responsables dont il est désormais aisé de constater l’incompétence -, ce n’est pas par « haine de la liberté et de la démocratie » que les terroristes de Daech tuent. Ce n’est pas par « haine de ce qu’est la société occidentale » qu’ils font exploser des bombes. Ces gens-là rendent coup pour coup. Ils sont inscrits dans un projet de création d’une entité politique et religieuse qui a trouvé les forces occidentales sur son chemin. Autrement dit, le terrorisme durera et continuera de frapper l’Europe tant que la Syrie et l’Irak seront confrontés aux ambitions territoriales et religieuses de l’Organisation de l’Etat islamique (OEI).

Ce qui se déroule actuellement en Europe sur ce front invisible et mouvant où des cellules plus ou moins dormantes tentent de prendre de vitesse les services de sécurité n’est pas une guerre classique. Mais ce n’est pas non plus « que » du terrorisme. C’est une guerre hybride. La projection d’un conflit qui se déroule à des milliers de kilomètres de Bruxelles ou de Paris et où des armées européennes sont impliquées.

Il y a une dimension politique dans cette bataille qu’il serait dangereux d’éluder. Là-bas, des civils meurent aussi, tous les jours, sous les bombes qu’elles soient russes, syriennes ou occidentales. Pour ceux qui veulent embraser l’Europe, ces victimes sont le symétrique des morts de Bruxelles ou de Paris. C’est une pensée qui peut paraître irrationnelle ou illogique mais c’est ainsi et il faut en tenir compte. Pour sortir de cette nasse mortifère, les Européens doivent absolument peser pour que la paix revienne en Syrie et en Irak. Cela signifie faire pression sur des puissances régionales au jeu plus que trouble parmi lesquelles l’Arabie Saoudite et la Turquie. Cela signifie, on peut toujours rêver, l’urgence de décréter un embargo général sur les armes pour cette région.

Ce terrorisme, ce bruit continu des sirènes, cette peur diffuse qui s’installe avant que la vie ne reprenne ses droits jusqu’au prochain attentat, ce terrorisme donc ne va pas disparaître parce qu’il peut se développer sur le double terreau de la misère sociale et du désarroi identitaire. La lecture attentive des profils et des itinéraires des individus responsables de cette actualité sanglante depuis plusieurs années est édifiante. Elle met en exergue non pas l’échec de l’intégration des populations d’origine maghrébine ou subsaharienne mais, en réalité, l’abandon, délibéré ou non, et l’absence de volonté de les intégrer. Que peut-on attendre de bon quand des populations entières sont oubliées, ghettoïsées durant plusieurs décennies et livrées au premier prêcheur venu ?

Les attentats continueront tant qu’il subsistera aussi une certaine indulgence à l’égard des criminels qui en sont les auteurs. Il suffit de relever les réactions des uns et des autres pour découvrir, effaré, que les théories du complot n’ont jamais été aussi populaires. Par classes entières, des adolescents sont convaincus que les attentats de Paris ou de Bruxelles ne sont pas l’œuvre de Daech. Leurs aînés sont encore plus virulents dans la dénonciation de ce qui ne serait qu’une immense manipulation américano-sioniste. Tant que la réalité sera niée par les populations de confession ou de cultures musulmanes, les brèches dans la raison commune persisteront et il se trouvera toujours des gens pour attenter sans aucun remord à la vie d’autrui.

L’Europe de l’ouest va au-devant de jours difficiles. La cohésion de ce continent, le « vivre ensemble » de ses multiples composantes humaines, son modèle social, tout cela est menacé. La réponse sécuritaire est nécessaire. On notera d’ailleurs qu’elle est minée par un manque de moyens qui résulte de décennies de politiques économiques bâtie autour du culte de la réduction des dépenses publiques et de la nécessaire rémunération des actionnaires (sinon comment expliquer que des aéroports et des gares rechignent à installer des portiques et des scanners et cela contrairement à ce qui existe en Asie ou en Afrique ?).

Mais la force seule ne suffira pas. On attend encore la révolution que constituerait une remise en cause rigoureuse des politiques d’intervention des Européens au Proche-Orient. Cela, en attendant aussi un règlement de la question palestinienne qui demeure la mère de toutes les frustrations dans le monde arabe et au sein des communautés européennes d’origine maghrébine ou proche-orientale.

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