Après la chute du régime de Ben Ali en janvier 2011, la photographe et artiste tunisienne Héla Ammar a visité douze prisons dans le cadre de l'enquête qui a été menée par la Commission nationale d'investigation sur les faits et abus commis pendant la révolution. Accompagnée de trois autres membres, elle a auditionné les « responsables pénitentiaires ainsi que les détenus au sujet des incendies, mutineries, évasions et décès qui ont eu lieu dans les prisons pendant la révolution. »
Ayant pu rencontrer les prisonnières et les prisonniers dans leurs chambrées, elle a pu aussi prendre des photos. Ce livre (*) est le témoignage de cette plongée dans un univers clôt, fait de violences et de désespérances. Un lieu où, note-t-elle, on « touche à l'humain dans toute sa dimension et dans tous ses paradoxes. »
Les photos et les textes obligent le lecteur à s'arrêter et à réfléchir sur le sens de la vie humaine dans un univers carcéral. Un monde avec ses règles et ses logiques particulières. « Dans la bouche des détenus, écrit l'auteure, le meurtre devient rouh (âme)>, le viol akhleq (morale) et la condamnation à perpétuité devient tout-l-temps. Coufa, déformation du terme convoi, désigne le transfert des prisonniers d'une prison à une autre, le mouton est le délateur de service et on dit 'ira pour des pratiques sexuelles abusives. »
L'ouvrage aborde plusieurs thèmes, de la sexualité à l'argent, en passant par le temps, l'isolement, les visites ou la nourriture. Il y est question d'abattement mais aussi de colère, à l'image de Sami, « jeune homme d'une trentaine d'années. Il travaillait dans un hôtel du sud du pays. Il a été condamné pour avoir revendu de l'herbe à ses clients. Il s'est tatoué "La vongence" sur le pied. (…) Il en voulait à la société entière, cette société qui l'a banni et qui l'a condamné à devenir un criminel. "Parce qu'en prison, même si on le l'est pas, on apprend à l'être." Il me montre son pied et me dit : "Voilà ce que j'ai appris en prison : je me suis tatoué ça avec la suie d'un pot de yaourt cramé et une aiguille, c'est courant ici. Mais ce n'est pas tout, j'ai appris à tricher, à voler et je pourrais même tuer. Mes compagnon de cellule m'ont appris comment m'y prendre !". »
Deux chapitres interpellent de manière particulière, celui consacré à la prison des femmes et celui qui aborde la situation des condamné à mort. Êtres humains en marge, abandonnés par les leurs, oubliés de tout sauf de l'administration. Des destins irrémédiablement brisés. Mais, ici et là, parfois, une once d'humanité à l'image de ce détenu ayant « dressé » un oiseau : « Un oiseau était posé sur le revers de sa main. Il lui parlait et l'oiseau semblait le comprendre. Viens sur mon épaule gauche, va sur la fenêtre, maintenant reviens. Et l'oiseau obéissait ! »
(*) Corridors, Cérès éditions, Photographies et textes de Héla Ammar, postface de Sadok Ben Mhenni, Tunis, mars 2015, 28 Dinars tunisiens.