Deux femmes en hidjab sont chassées d’un restaurant de la région parisienne par un chef étoilé qui les traite de « terroristes » et qui les menace de les empoisonner si elles persistent à vouloir être servies. Comme il fallait s’y attendre, l’histoire a embrasé les réseaux sociaux et la vidéo de l’incident a tourné en boucle.
A l’inverse, les médias traditionnels, notamment les télévisions, sont restés plutôt discrets et n’ont pas insisté. On pourrait se réjouir de cette retenue car, après tout, il ne s’agit que d’un simple fait divers même si la violence des propos du toqué est inadmissible. De nombreux internautes ont d’ailleurs appelé au calme et demandé à ce que cette affaire ne prenne pas une dimension exagérée.
Le problème, c’est que l’histoire intervient juste après l’hystérie à propos du burkini et il n’est pas faux d’estimer que télévisions, presse écrite et radios, n’ont soudain retrouvé leurs esprits et l’éthique du métier que parce qu’il s’agissait de deux femmes voilées… Car, après tout, pourquoi ne pas consacrer des dizaines d’émissions à cet acte raciste et islamophobe quand tant d’autres ont eu pour sujet principal le désormais « maillot islamique » (appellation erronée mais sur laquelle on reviendra en fin de texte) ?
Restons encore sur cette affaire de restaurant – lequel a subi une avalanche de représailles sur internet, étant notamment présenté dans certains guides en ligne comme un élevage de porcs ou un lieu infesté de cafards. L’une des réactions de la fachosphère à cette affaire mérite d’être relevée. Quel argument ont trouvé les petits nazillons qui activent en force et en meutes sur la toile ? « De toutes les façons, votre religion [comprendre l’islam] vous interdit de sortir seules sans être accompagnées par un homme et de fréquenter des lieux où l’on sert de l’alcool » a ainsi écrit l’un d’eux à l’adresse des deux femmes.
D’autres, aussi intelligents que lui, ont ironisé sur le fait qu’elles entendaient manger dans un restaurant sans produit hallal. Restez à votre place, restez archaïques, ne quittez pas la (supposée) case intégriste, tel est le message.
Ces réactions ne sont pas anecdotiques. J’en en retrouvé l’écho, plus ou moins dissimulé, dans les écrits d’éditorialistes longtemps dits de gauche mais qui basculent de plus en plus dans le camp vert de-gris en donnant du crédit à la théorie de « l’islamisation de la France » ou à celle du « grand remplacement » [celui des Français de souche par les immigrés musulmans]. Etrange conception des choses, n’est-ce pas ? Si une femme porte le hidjab, c’est donc qu’elle n’a pas le droit d’aller où bon lui semble. C’est ce que pensent les fondamentalistes et les rétrogrades. Mais dans le cas présent, il s’agit de l’avis de personnes qui ne cessent de se lamenter sur le triste sort des musulmanes.
En réalité, ce qui leur est insupportable, c’est le brouillage du schéma binaire habituel. C’est l’idée que, voile ou pas, il y a qu’on le veuille ou non, une évolution moderniste chez celles qui le portent. Ces dernières veulent participer à la vie de la cité, ni plus ni moins : sortir, travailler, avoir des loisirs. Et il est vrai, qu’en cela, elles transgressent la vision intégriste de l’islam. Au lieu de s’en réjouir et de se dire que cette évolution mènera tôt ou tard à encore plus de sécularisation des populations concernées, nombreux et nombreuses sont celles qui refusent la réflexion et se contentent de faire de l’abandon du voile une exigence et un préalable absolus.
Cette « évolution », certes discutable car elle est pleine de contradictions, concerne aussi le burkini (on ne parle pas ici de ces femmes qui vont à la plage en burqa comme le présent chroniqueur l’a raconté dans l’un de ses textes à propos du littoral maghrébin). Si l’on s’en tient à une lecture fondamentaliste de l’islam, le burkini n’est pas absolument pas halal (licite). Durant la polémique, peu de personnes ont relevé le fait que son port allait même à l’encontre des prescriptions de nombre de serial-fatwayeurs cela sans parler des groupes armés radicaux dont la réaction serait d’exécuter les femmes qui le portent.
Question : est-il préférable qu’une femme reste à la maison ou qu’elle puisse aller à la plage en portant ce maillot conçu par une designer australienne ? Bien entendu, il ne s’agit pas de faire l’ingénu et de garder en tête que ce qui pose problème avec le burkini ce n’est pas qu’il est parfois le seul moyen pour que des femmes puissent aller à la plage mais qu’il devienne surtout le vêtement de bain obligé (et imposé) de celles qui, jusque-là, n’avaient aucun problème pour se baigner en maillot classique.
Terminons cette chronique en évoquant la naissance annoncée de la « Fondation de l’islam de France ». Il faudra revenir sur ce concept fumeux « d’islam de France » mais, pour l’instant, relevons que sa présidence va échoir à l’ancien ministre de l’intérieur Jean-Pierre Chevènement. L’homme est respecté et respectable mais sa nomination pose tout de même un problème de fond. Pourquoi pas un musulman à la tête de cette structure ? Est-ce pour rassurer l’électeur qui se dit ainsi que les musulmans de France seront « bien tenus » ?
Ou alors, est-ce que parce que le gouvernement français estime qu’il n’existe pas de personnalité à la fois laïque et de culture musulmane susceptible de faire l’affaire (et de ne pas affoler l’opinion publique) ? Si tel est le cas, on se dit que le bilan de cinquante ans de politique d’intégration doit être bien maigre si un tel profil est impossible à trouver.
En réalité, on retombe dans ce qui est le mal profond de la relation de l’Etat français à l’islam : la matrice coloniale et sa vision paternaliste sont toujours là et ce n’est pas la présence au conseil d’administration de la Fondation de l'écrivain Tahar Benjelloun, béni-oui-oui multidirectionnel, qui prouve le contraire…