Trump, un séisme salvateur (pour la gauche) ?

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Après-coup, il est toujours facile d’expliquer le résultat surprise d’une élection. Les analyses qui ont immédiatement suivi la confirmation de la victoire de Donald J. Trump n’ont pas échappé à la règle. Triomphe du « vote caché », autrement dit celui que l’on n’avoue pas devant les caméras ou les sondeurs, colère des classes populaires blanches bien plus importante qu’on ne le croyait, défiance d’une partie de l’électorat de gauche à l’égard d’une candidate jugée trop centriste et trop proche des milieux d’affaires et des lobbies de Washington : voilà autant d’éléments qui aident à comprendre comment un héritier à la morale, à l’intégrité et aux compétences douteuses l’a emporté.

Par ailleurs, dans ce genre de circonstances, certains observateurs ne se privent pas de fustiger le peuple américain qui aurait mal voté. « Défaite de la culture et victoire de l’ignorance » a-t-on pu entendre ou lire ici et là. « Un pays qui a changé sans que je ne m’en aperçoive et qui n’est peut-être plus le mien » s’est lamenté de son côté Paul Krugman, prix de la Banque de Suède en sciences économiques 2008. Désagrément et déception obligent, on peut effectivement se laisser aller à traiter les électeurs et électrices (blanches pour la plupart d’entre elles) d’abrutis ou de racistes désormais assumés.

Mais ce serait faire fausse route car l’un des enseignements majeurs de ce scrutin c’est que des millions d’électeurs qui ont voté pour Barack Obama en 2008 et en 2012 – et que l’on ne peut pas qualifier de racistes - ont préféré Trump à Clinton. Cela s’est bien vu dans les fameux « swing states », dont l’Ohio et la Pennsylvanie où la candidate démocrate a été battue alors que les projections la donnaient gagnante. « Quelqu’un qui a été battu par un Obama, à l’époque jugé plus à gauche qu’elle pendant les primaires démocrates de 2008, ne pouvait pas l’emporter face à Trump » s’est d’ailleurs écrié un journaliste de CNN durant la soirée électorale. Un éclair de lucidité bien tardif…

Il ne s’agit pas d’atténuer le caractère outrancier, xénophobe et misogyne du discours de Donald Trump. Il est évident que nombre de ses électeurs se sont identifiés à son propos, certains de ses partisans étant motivés par leur refus farouche de voir une femme accéder à la Maison Blanche. Mais se contenter de cela c’est se préparer à d’autres déconvenues - on pense notamment aux élections en Europe dont la présidentielle française d’avril prochain.

De fait, il est important de comprendre que la défaite de Clinton est celle du consensus politico-médiatique néolibéral forgé au cours de ces trois dernières décennies et auquel la mal nommée gauche, américaine ou européenne, a (trop vite) succombé. Qu’on le veuille ou non, certains propos de Trump en matière économique auraient dû être tenus par les représentants du parti démocrate non pas seulement durant la campagne électorale mais depuis au moins 2008.

La crise financière et ce qu’elle a engendré comme drames et catastrophes a constitué une occasion perdue pour les démocrates qui n’ont pas su mener leur aggiornamento en matière de politique économique. Rien de fondamental n’a été remis en cause depuis ce séisme. La dérégulation enclenchée par le duo Reagan-Thatcher et poursuivie par Bill Clinton, la financiarisation croissante de l’économie et la sacralisation du libre-échange demeurent des dogmes qu’Hillary Clinton a juste feint d’égratigner.

Comment s’étonner ensuite que des Etats industriels comme l’Ohio ou le Michigan lui tournent le dos ? L’Accord de libre-échange nord-américain (Alena) a détruit des millions d’emplois industriels aux Etats-Unis. Des emplois bien payés, pourvus d’une couverture sociale et bénéficiant de droits syndicaux. Contrairement à ce qu’affirment (aujourd’hui encore !) les chantres de la mondialisation heureuse, ils n’ont jamais été remplacés par des postes équivalents.

L’élection de Donald Trump n’est pas une bonne nouvelle. Elle ouvre la voie à de sérieuses turbulences géopolitiques. Mais elle pourrait offrir l’occasion à celles et ceux qui se disent progressistes de repenser le monde de demain et de bâtir enfin de vrais programmes de rupture et de changement. Cela passera par le refus des politiques d’austérité, par la mise en place de programmes de relance et par une vraie lutte contre les inégalités.

Cela obligera à réfléchir sur les questions commerciales et à admettre que le protectionnisme n’est pas un mal absolu surtout quand il s’agit de défendre des emplois et de permettre l’industrialisation, ou la réindustrialisation, d’un pays ou d’une région. Pour les Européens, cela exigera de mettre (enfin) au pas une Commission européenne qui semble évoluer dans un monde hors-sol et qui continue à être obsédée par le libre-échange, la lutte contre les déficits et la dérégulation financière. Et pour des pays comme l’Algérie, cela exige de cesser de croire que le « marché » résoudra tout. A défaut, le monde ira de Brexit en victoires de Trump. Jusqu’à l’irréparable. Car, dans un contexte de désarroi social planétaire et d’ubérisation croissante de l’économie, c’est bien la guerre qui se profile à l’horizon.

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