Inscris, note, écris ou enregistre (hommage à Mahmoud Darwich)

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Inscris…

Note, écris ou enregistre. D’abord, la date. 9 août 2008. Ensuite, le lieu. Quelque part entre Ramallah et Bethléem. Note donc, écris ou enregistre qu’il y a dix ans, presque jour pour jour, disparaissait le Poète. Un adieu définitif aux roses de Galilée. Il est parti laissant les siens orphelins.

Son peuple encagé, brimé, sans cesse violenté. Abandonné. Dix ans… Depuis, rien n’a changé ou, plus exactement, rien ne s’est amélioré. Tout a empiré. Qu’écrirait-il s’il vivait encore ? Quels cris de colère laisserait-il échapper ?

Gaza assiégée et dévastée tant de fois, les miradors et les barbelés d’Hébron, les terres confisquées, le mur de béton qui divise les champs et empêche les récoltes, les oliviers brûlés, les incursions de nuit, les hauts parleurs qui crachent des mises en garde et des insultes en arabe, les enfants des camps aux rotules pulvérisées par les snipers, les brutes obscènes venues de Moldavie, les réfugiés qui ne cessent d’attendre et cette patrie qui reste interdite, toujours et encore.

Dix ans…

L’enfant d’Al-Birwah est parti mais le son de ses vers porte encore. N’en déplaise aux chiens.

Inscris, note, écris ou enregistre. Il repose dans une colline de Ramallah, cette fausse capitale où pullulent les parvenus et les dévots zélés de la collaboration, pardon, de la coopération sécuritaire. Un musée lui est dédié. L’endroit est calme, loin de tout tumulte. Il y a des arbres et un vent frais venu de l’ouest qui fait trembler leurs feuillages.

Un conseil, l’ami. Ce musée, il faut se dépêcher de le visiter. Il le faut car, inscris, note, écris ou enregistre, les autres reviendront tôt ou tard avec leurs chars et leurs bulldozers.

D’ailleurs, ils ne sont jamais partis. Ils sont toujours là, pas très loin, prêts à déferler. Regarde, lève la tête. Chaque avanie, chaque outrage infligé à la nature et au paysage témoigne de leur présence. Un check-point ici, une colonie là. Revenir. Ils ne pensent qu’à cela. Revenir, reprendre le contrôle ou, reprendre le peu de contrôle qui leur échappe à ce jour. Ils reviendront, c’est écrit et ils chercheront à effacer la mémoire du Poète.

Inscris…

Note, écris ou enregistre. Qui porte la voix des Palestiniens ? As-tu remarqué ce silence qui s’installe lentement comme un serpent enveloppe sa proie. Poète, tu nous manques. C’est certain, tu aurais écrit un poème à propos du keffieh, de l’huile d’olive, du zaatar et du reste. De cette culture ancestrale que les autres, sans aucune honte, mais est-ce étonnant, s’approprient, volent et revendiquent.

Ils disent, le houmous, la tahina et la maqlouba sont désormais à nous. Ils ont toujours été à nous. Certains d’entre-eux imaginent même s’accaparer le keffieh. Après la terre, les symboles… Non, ne souriez pas, l’affaire est sérieuse. Seuls le poète, l’écrivain, le cinéaste ou l’artiste peuvent empêcher ce genre de rapine.

Où es-tu Poète ? La Palestine, sa culture, son identité, ont plus que jamais besoin de toi. Est-ce toi ou un autre qui disait que ton peuple ne connaîtra pas le sort des Indiens d’Amérique ?

Parlons des plus que soumis…

Il nous faudrait un autre poème. Te souviens-tu de celui de Nizar Qabbani qui fustigea les « empressés » (« hasteners », le terme en anglais est encore plus évocateur) qui, ventre à terre et pris d’une allégeance frénétique, crurent aux bobards d’Oslo ? Où sont les vers qui évoqueraient ces nouveaux murs de la honte qui s’effondrent ? Qui répondraient à ces charlatans de la plume qui clament leur passion pour un Etat désormais officiellement raciste ? Qui fustigeraient ces tyrans arabes lesquels, tels leurs pères, n’hésitent pas à faire couler le sang de leur peuple et celui des Palestiniens ?

Qui moqueraient ces roitelets de la péninsule pour lesquels il faudrait inventer un mot plus puissant que soumission ? Ces roitelets, donc, prêts à soutenir n’importe quel plan « de paix », autrement dit de spoliation définitive, en échange d’une vague responsabilité sur al-Aqsa. Inscris, note, écris ou enregistre que les chiens obéissent toujours à leurs vrais maîtres et que telle est l’une des plus anciennes lois de la vie.

Inscris…

Note, écris ou enregistre. Oui, la partie semble bien mal engagée. L’arrogance et l’euphorie des autres n’ont d’égal que le découragement de tes frères et sœurs, ô Poète. Tu as écrit un jour que tu appartenais à un peuple qui aime la vie et qui, en retour, ne récolte que des bombes.

C’est si vrai. Mais les mots, les tiens, survivent. Certains sont calligraphiés sur le mur. Pas plus les brutes en treillis que leurs auxiliaires n’en comprennent le sens et la portée. Sur cette terre as-tu écrit Poète : « Sur cette terre, il y a ce qui mérite vie : sur cette terre, se tient la maîtresse de la terre, mère des préludes et des épilogues. On l’appelait Palestine. On l’appelle désormais Palestine. Ma Dame, je mérite la vie, car tu es ma Dame. » Il faut y croire. Il faut continuer à y croire.

Inscris…

Note, écris ou enregistre qu’il est un peuple qui se bat pour sa dignité et pour le droit de disposer de sa terre. Jour après jour, année après année, ses oppresseurs se convainquent que l’histoire est terminée. « Gare ! Gare ! Gare à ma fureur ! » a écrit un jour le Poète. Rien n’est joué, Poète. Rien n’est perdu.

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