Patrimoines mutilés

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On lit ce livre avec un mélange d’intérêt, de tristesse et de colère (*). Certes, on sait depuis longtemps que les guerres ne signifient pas uniquement la mort de civils et la destruction d’infrastructures. Elles infligent aussi des dommages irrémédiables aux patrimoines culturels des pays touchés par les conflits. Comme le montre l’auteur, la liste des « vandalismes à grande échelle », n’en finit pas de s’allonger. Ancien directeur du patrimoine culturel en Algérie (1974-1981) et ancien haut-cadre au sein de l’Organisation des Nations unies pour l'éducation, la science et la culture (Unesco), Mounir Bouchenaki nous livre un témoignage sur plusieurs années de lutte pour protéger, réhabiliter et défendre ce qui n’est rien d’autre que l’héritage de toute l’humanité.

Du site d’Angkor aux trésors archéologiques irakiens volés pendant et après l’invasion américaine de 2003, les exemples de pillages et de trafics organisés ne manquent pas. Là où frappe la guerre, les trésors architecturaux, les œuvres d’art, les pièces de valeur, font l’objet de razzias plus ou moins organisées. On lira avec attention les pages consacrées à l’Irak pour comprendre l’étendue des dégâts.

Dans les années 1990, ce pays est soumis à un embargo qui l’empêche d’importer de nombreux produits. On sait que des dizaines de milliers d’enfants sont morts de ces restrictions. A un degré bien moindre en matière de tragédie, le musée de Bagdad sera envahi par les termites faute d’insecticides. Plus tard, au printemps 2003, le patrimoine irakien est pillé et détruit.

En mission sur place, Mounir Bouchenaki découvre l’ampleur du saccage qu’une partie des gouvernements et médias occidentaux ont présenté comme le résultat de l’anarchie alors qu’il apparaît aujourd’hui que ce furent des entreprises criminelles dûment organisées et planifiées. Les autorités américaines raconteront que seules vingt-cinq pièces ( !) ont été volées du musée de Bagdad alors que les estimations les plus prudentes des experts compétents avancent le chiffre de… soixante-dix mille.

Mais aux dommages de la guerre (destructions et pillages à vocation de trafic et de revente sur les marchés internationaux), s’ajoute désormais la folie iconoclaste des groupes radicaux islamistes à l’image de l’Organisation de l’Etat islamique (OEI, souvent désignée par l’acronyme « Daech »). L’exemple des saccages de Palmyre est dans toutes les têtes et témoigne d’une certaine manière des dégâts auxquels peut mener une lecture erronée des préceptes coraniques.

En tout état de cause, l’auteur ne cache pas l’importance des dégâts et leur caractère définitif : « Nous devons déplorer malheureusement des pertes irrémédiables sur les sites irakiens non encore inscrits sur la Liste du patrimoine, mais qui auraient pu l’être, comme Nimrud, considérée comme la seconde capitale de l’Empire assyrien, cité de grand prestige à l’époque du roi Assourbanipal et dont les vestiges ont été détruits au bulldozer, ou encore le site de Ninive, ancienne capitale de l’Assyrie au VIIe siècle avant l’ère chrétienne, et certains monuments de la ville de Mossoul dont le Musée a été saccagé en février 2015. Même Hatra, l’unique site d’Irak inscrit sur la Liste du patrimoine mondial jusqu’en 2003, n’a pas échappé au vandalisme filmé par leurs auteurs eux-mêmes en train de mutiler la statuaire qui ornait les murs des temples de la ville antique. »

Comme le montre l’ouvrage, la mobilisation pour sauver ce qui peut l’être existe. Les Nations Unies, des donateurs, certains gouvernements arabes agissent dans le sens de la préservation du patrimoine. Mais l’effort à déployer demeure immense. Un rapide regard sur l’état des vestiges culturels dans le monde arabe convainc de l’urgence d’une action d’envergure.


(*) « Patrimoines mutilés. Ces trésors de l’Humanité défigurés par la folie des hommes », Mounir Bouchenaki, préface d’Irina Bokova, directrice générale de l’Unesco, éditions Erick Bonnier, coll. Encre d’Orient, 257 pages, 20 euros.

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