Dans les coulisses de la phobie française du voile

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La phobie française à l’égard du voile - dont les surenchères récentes d’Elisabeth Badinter (contre les alliés de la « mode islamique ») ou de Manuel Valls (proposant d’interdire l’université aux femmes le portant) ne sont que les ultimes expressions – repose, entre autres, sur un déni. Ce déni consiste, en poussant dans ses retranchements ultimes l’analyse des féministes « ultra-laïques », à refuser de considérer que les femmes qui portent un voile puissent, de près ou de loin participer, à la longue lutte émancipatrice qui a été la leur.

« Peuvent-elles être des nôtres, celles qui ne luttent pas contre leur religion comme nous autres? ». Pour accepter que la réponse à cette question de principe puisse éventuellement ne pas être négative, encore faut-il prendre le temps de resituer la militance féminine musulmane dans son historicité propre. Or celle-ci n’est pas la même que celle d’Elisabeth Badinter et des militantes ou des militants qui s’identifient passionnément à son combat.

Peuvent-elles être des nôtres ….

Le refus d’accorder à leurs consœurs « islamiques » la moindre légitimité militante résulte d’un raisonnement assez facilement identifiable. Il repose sur l’idée que la soumission à une règle de nature religieuse, par laquelle les militantes musulmanes légitiment certaines de leurs pratiques sociales et notamment, le port du Hijab, ne saurait avoir une portée ou une signification si peu que ce soit différente de celle qu’elle aurait eu dans leur propre trajectoire de militance. Dès lors qu’elle s’accommode du respect d’une règle religieuse, l’affirmation féministe « islamique » leur apparaît comme très strictement antinomique avec l’idéal d’émancipation pour lequel elles ont elles-mêmes combattues.

Ce faisant, elles refusent toutefois d’entrevoir la possibilité que la configuration historique dans laquelle s’inscrit depuis quelques décennies la lutte d’émancipation des musulmanes puisse avoir un certain coefficient de spécificité. Cette spécificité est pourtant bien réelle. Car la mobilisation des “féministes islamiques”, à la différence de leurs consœurs occidentales, vise en quelque sorte deux « cibles » distinctes. Les musulmanes s’émancipent d’abord, en tant que femmes, par une démarche tout à fait comparable à celle des chrétiennes ou des juives qui les ont parfois précédées. Elles s’opposent à des traditions patriarcales et machistes qui n’ont jamais répugné à mobiliser, pour se légitimer, des interprétations très circonstancielles de la norme religieuse.

Mais les « féministes islamiques» se trouvent également, quelle que soit leur pays de résidence, être membres d’une communauté (les musulmans) qui est elle-même collectivement engagée dans un processus de libération (de) ou d’affirmation (contre) la tutelle occidentale, politique et économique mais également culturelle, directement héritée de la domination coloniale.

…Celles qui ne luttent pas contre leur religion comme nous autres ?

Or ce processus comprend une dimension d’affirmation identitaire. Et, à la différence radicale de l’histoire occidentale, la référence religieuse, étroitement liée à la culture régionale, n’y joue aucunement le rôle d’un obstacle à abattre. Elle ne sert en effet aucunement de … repoussoir ou en tout cas pas seulement. Elle sert en effet, au moins conjoncturellement, de point d’appui ou de réservoir de références «endogènes », celles que les féministes et leur groupe musulman d’appartenance mobilisent pour contrer la propension de la culture de l’ «Autre » occidental à maintenir son hégémonie symbolique.

Cette posture de suspicion des féministes dites laïques à l’égard du féminisme dit islamique n’est donc en réalité pas très différente de celle, plus générale, de l’homo-occidentalus à l’égard de toute affirmation de la différence islamique. Ces militantes ont en quelque sorte la conviction, pernicieuse, que pour exprimer une demande (féministe) universelle, le seul lexique et les seuls itinéraires à être légitimes et fonctionnels sont ceux qu’elles ont employés. Elles ne reconnaissent donc pas la légitimité des aspirations, à bien des égards identiques (accroître l’autonomie de la femme dans l’espace familial d’une part, dans l’espace public d’autre part, qu’il soit politique ou économique) émanant d’acteurs usant d’un autre lexique et d’autres références que les leurs.

Peuvent-elles être des nôtres celles qui ne luttent pas contre leur religion comme nous autres ? Oui, je le crois personnellement très sincèrement. Et je crois également que pour le plus grand honneur de la République, et l’avenir de notre vivre ensemble, il serait grand temps, enfin, de nous en apercevoir.

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