Ce que ne dit pas le président Rohani sur le "terrorisme" en Syrie

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Le président iranien Hassan Rohani a fait du terrorisme le pivot de sa lecture de la crise en Syrie, lors d'une interview à l'occasion de sa visite en France, jeudi. Le politologue François Burgat lui répond.

• "En Syrie, ceux qui commettent les crimes sont les terroristes, ils décapitent les innocents, commettent des massacres. Ce sont eux les vrais criminels. Il faut les détruire, les éradiquer."

Rohani tente aujourd'hui de faire oublier à ses hôtes parisiens que la documentation la plus indiscutable - dont les près de 8000 morts sous la torture du rapport Cesar - démontre le caractère systématique du recours à la violence extrême par ce régime dont il prétend faire le socle de la sécurité des Syriens ! Rohani tente de nous faire oublier que les milices envoyées en Syrie par son pays y commettent, depuis près de quatre années maintenant, le cas échéant au nom de la défense explicite de leur sainte "Saida Zayneb" [sanctuaire d'une figure révérée du chiisme, à Damas], les pires provocations sectaires. Ou que le Hezbollah, l'un de ses bras armés en Syrie, -allié de ceux qui éliminaient physiquement les intellectuels et les politiciens sunnites libanais du 14 mars, au Liban, pourtant pas particulièrement "radicaux", est aujourd'hui très directement impliqué dans les pires horreurs guerrières, dont, la dernière en date, la terrifiante famine de la ville syrienne de Madaya !

• "A court terme, il n'y a pas d'autre solution [que Bachar el-Assad]. Ce dilemme Bachar/pas Bachar ne reflète pas la réalité du terrain. (...) Les pays occidentaux doivent accepter cette réalité: ils ne peuvent pas choisir à la place du peuple syrien. Nous devons d'abord rétablir la sécurité du pays."

De quelle paix et de quelle sécurité Rohani parle-t-il sachant qu'une écrasante majorité des victimes du conflit syrien et du flux des réfugiés qui déborde sur l'Europe, est le résultat de la politique de bombardements aériens systématiques des populations civiles par le régime et, depuis peu et avec une ampleur sans précédent, par son allié russe? Est-ce du retour à une solution politique négociée que l'on parle, ou de cette "paix des cimetières" imposée par son allié Poutine à la Tchétchénie martyre?

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Le camp de réfugiés palestiniens assiégés de Yarmouk, en février 2014, à Damas. Reuters/UNRWA


• "Sinon comment organiser des élections valables alors que 60% du territoire est occupé par des terroristes? Comment concevoir un avenir dans ces conditions? La lutte contre le terrorisme doit être la base de tout."

Soixante pour cent du pays aux mains "des terroristes" dit Rohani? Entend-il ici lutter contre "le terrorisme" ou contre la majorité démographique sunnite du pays? Voila un chiffre qui en dit long, en effet, sur sa désolante 'incapacité à employer des catégories autres que sectaires pour lire le conflit dont, depuis 4 années, son pays est l'une des causes premières de la prorogation. Étrange sonorité que ce "60% de terroristes" lorsqu'on réalise qu'il se superpose presque complètement dans sa bouche avec… La confession sunnite de la majorité démographique de la population syrienne.

L'Iran - qui a été si longtemps la victime des pires raccourcis de notre politique "antiterroriste" - n'aurait-il rien appris de sa propre histoire? Depuis plusieurs années déjà, dans la bouche de ses dirigeants comme dans celles de leurs obligés libanais du Hezbollah, s'opère une stupéfiante volte-face qui semble procéder d'une certaine amnésie politique.

Le langage de discrédit sectaire du rival sunnite emprunte désormais sans vergogne les pires raccourcis de la rhétorique occidentale sur cet "islam politique" que l'Iran de Khomeyni a si longtemps incarné. Le rétrécissement confessionnel de sa diplomatie, amorcé dès l'irruption américaine en Irak, semble irrésistiblement prendre le pas sur la vieille solidarité anti-impérialiste et trans-confessionnelle de son moment révolutionnaire. Les héritiers d'une révolution qui avait réussi, en ralliant des pans entiers du monde sunnite, à s'abstraire des vieilles barrières sectaires divisant le monde musulman semblent prêts à payer leur réconciliation avec les Occidentaux d'un prix - la confessionnalisation de leur diplomatie, qui va exacerber les tensions dans la région - qui pourrait bien apparaître à terme, même pour les Occidentaux, s'ils continuent à l'encourager, comme dangereusement élevé.

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