Syrie : notre stratégie "tous contre Daech" est une impasse. Elle renforce Bachar Al-Assad

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Le difficile départ des négociations entre le régime syrien et son opposition, qui devaient s’ouvrir le 25 janvier à Genève sous l’égide de l’ONU, vient confirmer ce que le choix contestable de Paris d’entrer militairement dans la crise par la seule lucarne de la lutte contre Daesh aurait dû nous permettre d’anticiper.

Pour plusieurs raisons, la sortie de la crise syrienne ne saurait en effet passer par une telle stratégie du "tous contre Daech, et seulement Daech".

N’en déplaise aux observateurs les plus volontaristes ou les plus naïfs qui se sont laissés aller à des cris de victoire prématurés devant les ruines de Kobané ou de Ramadi, une telle entreprise sera particulièrement longue et coûteuse – financièrement bien sûr, mais plus encore politiquement et humainement.

Quoi qu’en disent nos propagandistes gouvernementaux, une telle stratégie est loin de renforcer la sécurité des Français. Les performances des pilotes de nos Rafale ne complètent aucunement celles des fantassins de Vigipirate. Bien au contraire, elles les compromettent !

Sans alternative politique, un après-Daesh incertain

De Paris avant-hier à Ouagadougou hier, en passant demain ou après-demain par à peu près n’importe quel point du globe, elles font en réalité peser sur nos têtes un risque sans cesse croissant.

Pas plus en Afghanistan qu’en Irak, le "Charles de Gaulle" n’a pu mener à bien la double mission impossible que lui ont successivement confiée Nicolas Sarkozy et François Hollande. Les bombes lâchées par les Rafale embarqués sur le fleuron de notre marine nationale ont en effet échoué — c’était prévisible — à calmer l’hostilité du large camp de leurs destinaires.

Et la "virilisation de leur image" n’a pas suffi non plus à sauver les présidents-candidats d’une débâcle électorale annoncée.

Dans ces villes irakiennes que les bombes françaises (un peu) et américaines (beaucoup) devront réduire en ruines pour y assurer la "victoire", le possible effondrement militaire de Daech ne garantit pas non plus, en quoi que ce soit, l’émergence d’un pouvoir un tant soit peu moins sectaire.

Tant qu’un front mobilisant d’autres ressources que la seule revanche des chiites ou des Kurdes irakiens, soutenus par l’ingérence iranienne, n’a pas réussi à opérer une contre-mobilisation sunnite crédible, le pire reste à craindre.

Une bouffée d’oxygène pour Bachar

Le difficile départ des négociations vient par-dessus tout de confirmer que l’option française du "tous contre Daech, et seulement contre Daech" a envoyé à Bachar Al-Assad une bouffée d’oxygène telle qu’elle lui a permis de différer, en multipliant des exigences inacceptables, la solution d’alternance négociée à laquelle nous aurions dû nous employer à le pousser.

Il fallait pour cela que le régime ait, autant que son opposition non djihadiste aujourd’hui écrasée sous les bombes russes, un identique intérêt existentiel à négocier. Or, le soulagement que lui ont apporté les armes françaises, en prenant sa place sur le front anti-Daech, a permis au président syrien de concentrer ses efforts répressifs, avec de surcroît le soutien décisif de la Russie, contre la seule opposition non djihadiste.

C’est à l’affaiblissement militaire du régime, et non à son renforcement, fût-il indirect, que nous aurions dû œuvrer.

Bachar al-Assad, ressuscité par l’effort militaire que les Russes, mais également les Occidentaux, concentrent sur ses seuls adversaires, parade insolemment à la veille de ces négociations improbables. Par Poutine interposé, il tente même d’imposer son droit de définir lui-même la liste de ses opposants, pour mieux les diviser, en rajoutant les “partenaires” du régime (tel le Conseil Démocratique Syrien, d’Haytham Manaa) et en écartant Mohamed Allouche, le représentant de Jaich al-Islam, l’un des plus importants groupes armés.

On ne fait que prolonger la crise

Tous ceux qui prolongent de facto la carrière de Bachar Al-Assad et, ce faisant, l’agonie des Syriens, nous disent vouloir "éviter le chaos que connaît la Libye". Ce qui appelle une question préliminaire : que devrait-on ajouter à la situation de la Syrie pour légitimement la qualifier de "chaos" ?

En entendant ces Cassandre nous répéter chaque jour leur quasi-regret d’avoir laissé les Libyens chasser Kadhafi, on ne peut s’empêcher de faire remarquer que la Libye, si terrible soit sa présente situation, est bien plus proche de la sortie que la Syrie.

D’abord parce que l’enfer libyen est très loin d’être à la mesure de celui dans lequel est plongée la Syrie sous les bombes de son régime et de ses alliés. Ensuite parce que la Libye a franchi une étape essentielle en s’extirpant du système politique qui l’a écrasée pendant 40 ans ! À l’inverse, la Syrie est, pour toutes les raisons que nous dénonçons, très loin de l’avoir franchi ou de pouvoir la franchir.

C’est là un ultime argument pour inviter ceux qui continuent à fièrement arborer l’étiquette des "amis de la Syrie" à reconsidérer l’impasse du "tous contre Daech" qui, malgré les apparences, ne fait que prolonger la crise qu’elle entend, ou prétend, résorber.

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