Dans un texte rendu public le 16 novembre 2017, trois associations régionales affectant de se draper dans “la défense de la laïcité” et "la lutte contre le communautarisme", curieusement relayées par une association elle même explicitement communautariste, ont émis des inquiétudes quant au statut scientifique de ce travail et à son caractère à la fois communautariste et attentatoire “à la laïcité”. A défaut de pouvoir se fonder sur le texte de la thèse de M. Ennasri, qu’ils ne pouvaient pas avoir consulté, ils ont entrepris de jeter des soupçons d’ordres divers sur sa personne et, tout autant, celle des universitaires qui sont amenés à évaluer son manuscrit.
Depuis le début de l’entière scolarité qu’il a menée au sein de l’IEP d’Aix-en-Provence, Nabil Ennasri s’est toujours scrupuleusement conformé aux exigences de recherche et d’écriture de l’Université. Ce sérieux s’est encore accru dans le cadre de son ultime travail de thèse au sein de l’école doctorale de l’Institut.
Le résultat présenté aujourd’hui s’appuie sur plus d’une soixantaine d’entretiens et sur l’étude de sources en langue arabe qui fondent l’originalité de la thèse. L’analyse de ce corpus repose sur le maniement des outils et de la littérature sociologiques et politistes actuels, confirmant son inscription dans les débats de la discipline.
L’appréciation de la qualité scientifique du travail de Nabil Ennasri revient, en tout état de cause, aux membres du jury qui se prononcent aujourd’hui - tous issus d’établissements reconnus de recherche et d’enseignement, spécialistes de terrains extrêmement variés, et dont la réputation scientifique n’est plus à faire.
Le fait que - ainsi que le réclame le système français - deux pré-rapports, dont, c’est le moins que l’on puisse dire, la tonalité est exempte de toute complaisance, aient autorisé la soutenance en l’état indique d’ores et déjà que la thèse répond - ne serait-ce qu’a minima - aux exigences de scientificité de l’exercice doctoral.
L’évaluation d’un travail scientifique par les pairs est un principe fondamental de la production du savoir scientifique. Au-delà de ce qu’il garantit en termes de maîtrise des savoirs existants, de la qualité de la méthode d’enquête et de l’analyse des données, il permet également de soustraire les chercheurs aux pressions de groupes d’intérêt plus soucieux de faire avancer leur agenda politique que la compréhension de la complexité du monde social.
La campagne lancée contre Nabil Ennasri, son directeur de thèse, les membres de son jury, l’école doctorale de l’IEP d’Aix-en-Provence et l’IEP lui-même ne repose pas, rappelons-le, sur la lecture de son manuscrit, à ce jour non encore disponible. Elle se satisfait donc de convoquer des arguments fallacieux qui démontrent une méconnaissance avérée du fonctionnement de l’Université française.
Elles ignorent également que les exigences de la “laïcité à la française” n’ont jamais signifié l’illégitimité du fait religieux comme objet scientifique. Les sciences sociales s’intéressent à l’ensemble des objets politiques et sociaux. Et elles considèrent qu’il est particulièrement salutaire de porter un regard scientifique sur des réalités qui sont plus souvent pensées sur un mode seulement instinctif ou passionnel.
Rappelons à ce propos que la question de la proximité des chercheurs vis-à-vis de leur objet d’étude, débat fort ancien en sciences sociales, ne saurait constituer un élément discréditant leur travail a priori (j’insiste sur ces deux derniers mots) : il est désormais bien établi dans le champ scientifique que nul ne saurait avoir une position désincarnée et omnisciente.
Il est en revanche possible d’objectiver son rapport à son objet d’étude, en explicitant l’origine des cadres analytiques - qu’il s’agisse de modèles théoriques établis par des travaux scientifiques ou des éléments plus personnels. Il sera facile de démontrer que dans son travail de thèse Nabil Ennasri s’est astreint à cet effort réflexif et à porter un regard critique sur l’objet de son enquête.
S’appuyant sur quelques éléments de sa biographie, notamment son engagement associatif musulman, ses détracteurs pensent pouvoir démontrer l’entrisme de l’“islamisme radical” dans l’Université française. Et puisque cette démonstration ne peut se nourrir du travail doctoral de M. Ennasri, ils font preuve d’une parfaite indécence en allant jusqu’à rapprocher l’engagement de celui qui est allé chanter la Marseillaise devant le Bataclan, avec les actes terroristes qui ont frappé la France en novembre 2015.
Le reste n’est qu’accusations sans fondement reprenant, sur le registre du sous-entendu, les pitoyables standards du complotisme : “complicité”, “proximité”, “implication”, etc. Je passe sur le rapprochement, indigne et parfaitement diffamatoire, avec l’actuelle “affaire Tariq Ramadan”.
En fait, le véritable objectif des auteurs de cette lettre apparaît dès ses premiers paragraphes. Ils offrent en effet une longue citation d’Abdennour Bidar, inspecteur général de l’Éducation nationale, dans laquelle ce dernier appelle l’Université à devenir un lieu de réflexion sur la “mutation de l’Islam” (sic).
Cette proposition de faire du champ scientifique le lieu de débats théologiques nous semble, pour notre part, contraire en tout point aux exigences de laïcité dans lesquelles se drapent pourtant les thuriféraires de cette campagne de haine et - sous couverte de “défense de la laïcité”- … d’un véritable appel à l’obscurantisme !
L’Université peut - et doit - couvrir des objets de recherche qui s’inscrivent dans les réalités sociales et politiques des sociétés musulmanes. Mais elle ne doit en aucun cas être l’arène des débats sur la nécessité des réformes de tel ou tel culte et encore moins sur les directions qu’elles devraient prendre.
Il est étonnant - ironique ? - désolant ? - à moins que cela ne soit terriblement révélateur, que cette proposition se retrouve aujourd’hui sous la plume d’associations servant, sous le drapeau de la laïcité, des agendas infiniment moins nobles.