Il y a quelques semaines, un drame aurait pu endeuiller, en sus de ses amis chasseurs, la famille de l’un d’eux et le village tout entier. Dûment bardés de leur ciré fluorescent, ils avaient stationné leur 4X4 maculé de boue au pied des éoliennes. Lorsque tierce avait carillonné au clocher de l’église, ils avaient sorti la tourte de pain de campagne, le saucisson à l’ail, le grillon charentais et la bouteille de Côte du Rhône pour le traditionnel graillou.
Puis, au chant de la corne, ils avaient empoigné leur fusil et s’étaient mis en branle vers la vallée. L’objectif était de rabattre une harde repérée par le lieutenant de vénerie du canton jusqu’à l’étang dit des Trois Chênes. Hélas, une fuite avait dû se produire au sein de l’association départementale de la chasse à moins qu’elle ne provienne des services administratifs délivrant les autorisations préfectorales. Quoi qu’il en soit, les sangliers avaient manifestement été prévenus et s’étaient logiquement repliés dans les bois d’à côté avec laies et marcassins.
Tout juste retrouva-t-on trace d’une souille à l’abri d’un bloc de granit recouvert de mousses et de lichens. Dépité et épuisé d’avoir dévalé en vain la colline, notre petit groupe s’était retranché dans une clairière. Assis qui sur une souche et qui sur un tronc vermoulu, ils reprenaient leur souffle en se racontant des histoires gaillardes. À une trentaine de pas de là, venaient mourir doucement les vaguelettes de l’étang dans un murmure à peine traversé des jacasseries des pies et des appels des canards.
Soudain, le ton monta entre ces derniers et une véritable dispute déchira l’air paisible. Nos quatre hommes n’en n’auraient fait aucun cas si, excédé sans doute par la polémique, l’un d’entre eux ne s’était envolé. Par réflexe, Jean-Michel épaula et tira. Il n’était pas meilleur qu’un autre en temps ordinaire. La chance lui sourit ce jour-là. Quelques plumes volèrent sous l’impact des plombs et la bête chuta comme une pierre.
Une gerbe argentée marqua sa collision avec l’eau et dessina une théorie de cercles concentriques qui vinrent expirer jusque sur la rive. N’écoutant, là encore, que son instinct, Jean-Michel se précipita. Il était déjà avancé de quelques mètres lorsque ses compagnons prirent conscience de ses intentions. T’es fou, Jean-Mi. Tu ne sais pas nager ! Enfermé dans son monde de chasseur, Jean-Mi était bien incapable de les entendre. Le regard chevillé sur le point noir qui flottait devant lui, il avançait inexorablement. Sans hâte ni précipitation mais sans hésitation non plus.
Soudain, alors que l’onde battait presque ses flancs, il trébucha. D’un cri unanime, les autres accoururent. Il se redressa. Mais battant des bras un sémaphore désespéré, il s’inclina la tête en avant et disparut.
N’écoutant que son courage, l’un des compères s’empressa à son tour. Comme professeur de gymnastique, il maîtrisait pleinement l’art de se déplacer de façon autonome dans un milieu aquatique profond, comme ils disent dans son ministère. Il ne lui fallut que quelques brasses pour rejoindre l’infortuné, l’attraper par le col, le remonter à la surface et le tirer jusqu’à la grève. Toussant, éructant, crachant à grands coups de hoquets la vase qui avait envahi ses bronches, le rescapé peina à retrouver pleinement son entendement. Quelques claques dans le dos lui rendirent sa dignité et la conscience des inévitables reproches de sa femme Simone à son retour au foyer.
La joie de la revoir sain et sauf lui redonna malgré tout le sourire et la force de se relever sans autre dommage. Offrant ainsi une heureuse issue à une aventure stupide. Et montrant à quel point il ne faut pas, comme dit le proverbe chinois, prendre la bêtise trop au sérieux. Il n’en reste pas moins bien des choses à penser à propos de l’intelligence.