Framboises, groseilles et pélargoniums

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Journée exceptionnelle s’il en est pour mon courtil. L’année scolaire s’achève et la maîtresse, professeur des écoles comme il se doit, ne sait plus trop quoi faire faire à ses élèves de CM2. Leur départ pour le collège en septembre et le parfum de vacances qui les environne ne les motivent plus guère à se pencher sur les impitoyables pièges de l’ortograffe, les labyrinthiques règles de conjugaison des verbes du troisième groupe, comme on disait autrefois, et le supplice toujours renouvelé des divisions des nombres premiers.

Elle a donc choisi d’offrir quelques heures au cœur de la nature à ces petits citadins natifs du béton. Surveillés par plusieurs mamans de l’association des parents d’élèves, ils jaillissent de leur car avec d’autant plus de fougue qu’ils viennent d’y être retenus prisonniers pendant presque une heure. La clameur sème la perturbation dans les futaies alentours.

Le couple de pie se précipite l’injure au bec pour défendre sa couvée sise au sommet de l’un des bouleaux. Les ramiers s’enfuient en grand ramage vers les bois voisins. Les merles et leurs ennemis les geais consentent à une trêve dans l’ombre des sureaux. Et les fauvettes, mésanges et les pinsons se terrent dans les noisetiers.

Ils ne sont pourtant qu’une vingtaine de gamins mais ils font autant de bruit qu’une horde de casseurs chargeant une compagnie de CRS. Lorsque le calme est revenu, nous les entraînons vers l’enclos de la chèvre naine et la volière des pigeons. Mais les cabrioles de la première n’émeuvent guère qu’une petite blondinette aux yeux rêveurs et le charivari provoqué par leur arrivée au milieu des seconds ne provoque que quelques rires nerveux.

C’est quoi, ces fleurs ? Demande soudain une petite pimbêche au regard effronté penchée sur un gros bouquet de pélargoniums. Je tente d’expliquer en quelques mots que la première bouture me fut rapportée d’Afrique du Sud par un ami journaliste sportif qui avait alors "couvert" la coupe du monde de football. Je deviens derechef un personnage important pour les enfants. L’une des mères, moins admirative, se penche à son tour et remarque qu’un parfum de roses émane des feuilles. Une autre détecte plutôt un soupçon de chocolat. Les enfants rient. Moi, je préfère les fleurs qui sentent bon, commente un gringalet presque aussi maigre que l’épouvantail qui surveille le potager.

J’ajoute alors qu’en général, les fleurs émettent des odeurs pour éviter que les animaux ne les mangent comme l’ail par exemple qui contient du souffre pour éloigner les rongeurs. Les qualités que l’homme recherche dans une plante existent d’abord pour le bénéfice de la plante elle-même. Pour la défendre contre ses prédateurs ou, comme les couleurs chatoyantes des fleurs, pour attirer les insectes pollinisateurs. C’est quoi les "pollisateurs" ? Mais deux garçons qui se baguenaudaient le nez au vent pour montrer ostensiblement leur désintérêt total pour mes radotages, nous rejoignent les mains et les joues barbouillées de jus de groseilles. Et tous de suivre leurs indications pour bénéficier des mêmes privilèges.

J’en profite pour expliquer concrètement l’action des insectes sur les fleurs qui peuvent ainsi donner naissance aux fruits. Qui donneront ensuite des graines qui permettront à la plante de renaître l’année suivante. Mais même mûres, les groseilles ne sont pas aussi délicieuses qu’elles le paraissent. Par contre, les rares framboises voisines sont, elles, bien goûtues. La volée de moineaux qui s’abat sur elles sera fatale à ma récolte future.

Tandis que mes visiteurs remontent dans leur car, nous constatons, leur maîtresse et moi, qu’il faudra encore bien du temps avant qu’ils ne comprennent vraiment, que non seulement la nature n’est pas à leur service mais qu’ils en sont eux-mêmes partie prenante. Ce qui nous laissera à tous bien des choses à penser pendant les vacances.

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