Aussi loin que remontent mes souvenirs d’enfance et d’adolescence, les vacances scolaires sont synonymes de travail à la ferme. Couper le trèfle et la luzerne et cueillir les pissenlits pour les lapins, conduire les vaches au pré, donner leur orge aux poules et ramasser les œufs, tourner la manivelle de l’écrémeuse puis celle de la baratte à beurre, donner leurs rations de petites pommes de terre et d’eau de vaisselle aux cochons et jouer de la binette pour arracher les mauvaises herbes dans le jardin potager.
L’entrée au collège apporte sa liste de promotions : traire les vaches, sortir le fumier de l’étable, tirer les fils barbelés pour reconstituer une clôture usagée, tailler les haies, couper les chardons dans les près, faire les andins à la fenaison, entasser les remorques de paille à la moisson, arroser les salades et les poireaux au jardin potager tout l’été, ramasser les pommes de terre en début septembre et les pommes à cidre aux vacances de Toussaint.
C’est assez dire combien la rentrée scolaire était attendue avec impatience. Mais c’était avant. Lorsque la société était encore rurale. Les citadins eux-mêmes, en dépit de leurs grands airs, avaient encore leurs racines dans les champs. Leurs ancêtres aujourd’hui se meurent et les campagnes se vident. On rogne certes encore sur la bonne terre arable pour y édifier des habitations mais elles sont destinées aux rurbains et parquées dans des enclos soigneusement gazonnés et tondus reliés par de belles routes goudronnées à des ronds-points fleuris conduisant directement aux supermarchés.
Ils ne risqueront pas ainsi de maculer de boue sinon même de bouse leurs escarpins Louboutin ou leurs mocassins Bugatti. La campagne a changé et rares sont les gens de la ville qui s’y établissent à présent en dehors des émigrés de l’intérieur qui veulent épuiser au Pays leurs derniers beaux jours. Et pourtant, parvenu à l’âge adulte et supposé avoir atteint une sage maturité, je suis revenu au milieu de mes vertes prairies.
Perdu entre clos et bois en lisière d’une vallée égarée au cœur des Monts, mon courtil s’est taillé une place de choix. On y entend encore le caquètement des poules du lever au coucher su soleil, les harangues des coqs dès que l’aube caresse les courbes alanguies des collines, les bêlements des brebis qui appellent leurs agneaux, les plaintes des agneaux qui appellent leur mère et les meuglements des vaches à la recherche de leur veau ou de leurs congénères. Sans oublier les aboiements des chiens dans les fermes alentour, les feulements des hulottes à la lueur glauque de la lune, les croassements des choucas qui gardent le clocher de l’église et la sonnerie des cloches qui égrènent les heures.
Il faut, pour pénétrer ce paradis champêtre, s’armer de belle patience derrière des tracteurs immenses qui encombrent les petites routes chaotiques héritières des étroits sentiers d’autrefois. Mais c’est alors l’occasion de se plonger dans leur sillage dans de longues minutes de méditation sur les effets nocifs de l’impatience citadine. On y respire certes parfois de vilaines odeurs d’humus et de feuilles mortes mais on hume aussi des parfums d’aubépine et de lilas au printemps, de blé mûr et d’herbe sèche à l’été, de piboulades aux fragrances de noisette et de cèpes de Bordeaux à l’automne et on jouit, toute l’année, du bon air des arbres.
On peut encore y croiser le renard, la biche ou l’écureuil roux, surprendre une compagnie de perdrix à l’orée d’un buisson, une harde de sangliers revêches à l’ombre des halliers et, dans les fourrés, la fauvette et le rossignol, la mésange et la bergeronnette. La saison des transhumances estivales arrive. Quelques nostalgiques du temps de leurs culottes courtes ignoreront pendant quelques jours les plages surpeuplées pour respecter un détour par la masure de la Grand-mère décédée en maison de retraite il y a vingt ans.
On leur souhaitera un heureux séjour au pays des coquelicots et des bleuets à l’ombre des futaies centenaires et dans la fraîcheur des dernières sources sauvages au murmure ensorcelant.
Peut-être y apercevront-ils quelque farfadet, korrigan ou elfe des ruisseaux. On dit qu’ils exaucent les vœux de celles et ceux qui ont gardé au cœur leur innocente âme d’enfant. Ils laissent, en tout état de cause, bien des choses à penser aux poètes et aux rêveurs.