Escapade parisiano-campagnarde

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Brève escapade parisienne pour écouter le pianiste Radu Lupu de passage à la Philharmonie où il retrouve l’Orchestre de Paris et Paavo Järvi. Au menu, le Concerto n°3 de Beethoven qu’il affectionne particulièrement et, après l’entracte, une excursion au cœur des paysages nordiques avec le Concerto pour flûte de Carl Nielsen et la Symphonie n°3 de Sibélius.

Bien que modestement placé en quatrième catégorie, (les fauteuils sont moins chers que ceux d’un match de foot mais tout aussi âprement convoités) la merveilleuse acoustique de la salle me permet d’accéder confortablement au jeu à la fois subtil et ferme de l’interprète, de jouir pleinement de la puissance de l’orchestre et de savourer toute la finesse et le charme de la flûte de Vincent Nicolas.

Divine soirée donc qui sera suivie, le lendemain, par un détour beaucoup plus trivial par le Salon de l’Agriculture. J’y retrouve mes voisins et amis Hélène et Sébastien qui tiennent ferme et gîte rural tout à côté de chez moi. Ils me guident en connaisseurs au milieu des terroirs. Goûter ici au saucisson artisanal alsacien, tremper là les lèvres dans un vin de paille jurassien, apprécier plus loin quelques bouchées de foie gras périgourdin, mordre avec gourmandise dans une tranche de maroilles et rincer les papilles avec une bonne gorgée de Savigny-lès-Beaune.

Le touriste parisien à qui s’adressent les bonimenteurs est manifestement séduit. Éblouis, les enfants déambulent entre veaux, vaches, cochons et couvées en se demandant si tout cela est bien réel. Ils ne retrouvent que rarement toutes ces mangeailles étalées sous leurs yeux dans les rayons des supermarchés qu’ils sillonnent avec leur mère à l’heure des courses hebdomadaires. Et comment pourraient-ils faire le lien entre les porcs qui somnolent dans leur enclos bien pourvu en paille fraîche et les tranches de jambon sous plastique commandées par internet et entreposées dans le réfrigérateur à côté des crèmes-dessert au chocolat et des petits pots de fromage blanc aromatisés à la fraise ?

La déconvenue des parents ne serait pas moindre si l’idée leur prenait soudain d’explorer une vraie ferme pendant les vacances de printemps de leurs rejetons. Ils n’y retrouveraient évidemment pas les paysans qu’ils ont peut-être croisés jadis dans leur enfance lors d’un séjour d’été chez leurs grands-parents. Comme le regrette tant Michel Onfray, la paysannerie qui peuplait les campagnes au temps de nos pères a disparu. Il est vrai que cette grand-messe agricole ne prétend pas le contraire.

Elle expose bien plutôt des chefs d’entreprises tous plus qualifiés les uns que les autres et bien souvent bardés de diplômes prestigieux. Ils sont d’autant plus soucieux, et à juste titre, de leurs coûts de production supérieurs à leurs prix de vente. Et malgré la fierté affichée pour leur travail, ils s’interrogent avec angoisse à propos de leur survie.

Il y a de l’hypocrisie sinon même de l’indécence dans cette rituelle commémoration des comices d’antan présentée comme une vitrine de la vie actuelle des fermiers, éleveurs et cultivateurs. Les romans des Claude Michelet, Christian Signol et autres auteurs de la fameuse école de Brive racontaient déjà une époque révolue et c’était ce qui faisait leur charme.

Le roman des exploitants agricoles d’aujourd’hui n’est pas encore écrit et ne ferait d’ailleurs que fort peu recette. On voit par-là que le romanesque et la poésie ne trouvent plus guère leur place dans des champs saturés d’engrais et de pesticides, dans des étables surdimensionnées peuplées de bovins d’autant plus anonymes qu’ils sont à présent directement connectés à la base de données du gaec local ni dans les assiettes des consommateurs après leur transit par l’industrie alimentaire.

Ce qui laisse bien des choses à penser à propos de l’avenir.

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