Les cellules de César.

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Un méchant vent de traverse givre les arbres de mon courtil et dégage le ciel au bleu d'azur. Dans mon bureau, trois magnifiques jacinthes, bleu, blanc et rouge comme il se doit, embaument l'air de leur parfum entêtant. Curieux comme toujours, César renifle avec circonspection cette odeur nouvelle et, rassuré sur son innocuité, abandonne les lieux pour reprendre sa sieste sur le canapé.

Il devrait pourtant se montrer admiratif devant ce bel exploit de la nature. Il fallut en effet attendre plusieurs milliards d’années après la déflagration qui, on l’a vu, aurait donné naissance à notre univers, avant de rencontrer le premier signe de vie en la personne de la première cellule.

Épuisée par l’improbable maturation métabolique qui venait de la constituer, elle surnageait tant bien que mal à la surface de sa soupe primordiale. Lorsque, bousculée par les gros bouillons qui montaient du fond de la cocote volcanique qui l’hébergeait, elle aborda par pur hasard une petite plage de sable blond bien exposée au soleil tropical.

Après une courte sieste réparatrice, elle s’étira voluptueusement, aspira une belle bolée de dioxyde de carbone et d’hydrogène sulfuré et observa le paysage qui l’entourait avec curiosité. Le ciel était paisible et doux mais au bout de quelques heures, elle se trouva bien seule.

Personne avec qui parler de tout et de rien, du temps qui passe, des bienfaits des crèmes amincissantes, de la couleur de la robe de la secrétaire du patron. Or on sait aujourd’hui que la solitude peut engendrer l’ennui, plonger dans la mélancolie et conduire à la dépression.

Le processus vital dont elle était alors le premier chaînon aurait pu s’arrêter là, à bout de souffle avant même d’avoir commencé. Il n’en fut rien, bien sûr, grâce à une exceptionnelle présence d’esprit qui intrigue au plus haut point nos éminents chercheurs. Une étrange idée la traversa en effet à ce moment-là. Si elle se divisait par deux, elle ne serait plus seule !

Le calcul paraît aujourd’hui évident. Il était à l’époque totalement novateur et aucun retour d’expérience ne permettant d’en déterminer les probabilités de réussites, il se révélait de plus particulièrement risqué. Forte cependant de l’inconscience de la jeunesse et poussée par un puissant désir de jaboter, elle mit son projet à exécution. Et obtint le résultat que l’on sait : elle n’était plus seule.

Elle se révélera hélas incapable de maîtriser le processus qu’elle venait d’enclencher. Ses deux moitiés se divisèrent à leur tour et les moitiés de ses moitiés se divisèrent également et les moitiés de ses moitiés de ses moitiés… Elles se comptèrent bientôt trente-deux, soixante-quatre, cent vingt-huit, deux cent cinquante-six …

Mais le soleil déclinait derrière les collines et le fond de l’air se faisait plus frais. Afin de se réchauffer mutuellement, toutes ces cellules qui vaquaient en désordre se blottirent frileusement les unes contre les autres. Au petit matin, elles formaient un agrégat certes encore informe mais que la coquetterie ne tarderait pas à modeler selon des canons toujours en vigueur dans les concours de beauté.

Depuis ce jour, les cellules ont commis nombre de créatures diverses et variées. On y compte des percepteurs, des hommes politiques et des ratons-laveurs. Mais on y trouve également le coquelicot, l’omelette aux morilles, ma petite amie Anaïs et mon chat César. Ce qui leur confère, on en conviendra, des circonstances atténuantes.

Cette aventure soulève toutefois quelques questions. Comment cette idée de scission a-t-elle pu naître, se développer et jaillir de nulle part avec autant d’à-propos ? Combien, avant elle, avaient déjà tenté l’exercice ? Semblable métamorphose s’est-elle déroulée sur d’autres planètes que la nôtre ? Si oui, a-t-elle pu produire, là aussi, des Carla Bruni et des Vincent Delerm ? Voilà qui laisse bien des choses à penser.

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