Le grand débrouillement.

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La lune est presque noire et le ciel voilé. Les étoiles tentent malgré tout de jouer leur grande scène de début d’année. Depuis sa station spatiale, notre brave astronaute Thomas Pesquet a tout loisir quant à lui de les admirer ainsi que sa planète d’origine. Et là, que voit-il ? Il voit, immenses et incontournables, les mers et les océans mais ignore les innombrables cargos remplis à ras bord de pétrole, de gaz ou de marchandises de fabrication chinoise qui les sillonnent en tous sens.

Il voit les chaînes de montagnes qui tutoient les nuées, égratignent presque la stratosphère et attirent irrésistiblement les grimpeurs qui les escaladent, les skieurs qui les dévalent et les amateurs de raclette qui se régalent. Il entrevoit bien sûr les continents recroquevillés entre leurs falaises abruptes et leurs plages de sable blond pour guinguettes à moules-frites et, ici ou là, au bout des autoroutes, les vastes mégapoles gorgées de lumières sous leur chape de pollution. Peut-être distingue-t-il les grands fleuves comme le Gange, le Nil ou la Corrèze mais probablement pas les gabarres, les felouques, les pirogues et autres barcasses qui tanguent sur leurs eaux noires.

Il peut contempler, dit-on, les grandes constructions humaines telles que les pyramides de Gizeh sous la surveillance du Sphinx, la muraille de Chine qui, comme toutes les murailles bâties par l’homme, n’a jamais empêché quiconque de passer et les grands observatoires astronomiques au milieu de leurs déserts péruviens ! Mais sans doute ne discerne-il pas en dépit de sa grandeur symbolique la Grande Arche de François Mitterrand au milieu de la circulation automobile, la statue d’Eugène Sue devant le bureau de Poste du dix-huitième arrondissement de Paris ni le réverbère du coin de la rue Marcadet contre lequel il buta malencontreusement un soir où St Exupéry avait oublié de l’allumer.

En un mot, du haut de son habitacle qui tourne à 370 km au-dessus de nos têtes, notre chemineau de l’espace bénéficie du fameux principe que monsieur de La Palice lui-même aurait pu énoncer : tout observateur qui prend de la hauteur s’éloigne de son sujet. Il évite ainsi les mille et un tracas qui accablent le pauvre terrien englué dans la glaise du quotidien.

Le feu dans la cheminée qui s’est éteint pendant la nuit, le chat qui se trouve, une fois de plus, du mauvais côté de la porte, la sonnerie du téléphone au moment même où Miles Davis se lance dans son fameux solo dans l’air tiède de Juan les Pins, l’arrivée du facteur avec son paquet de dépliants publicitaires inutiles ou les interminables débats et commentaires au vide sidéral qui accaparent nos écrans de télévision et les colonnes de nos journaux..

De l’île d’Ouessant au mont Donon, de la réserve du Platier d’Oye à la Baie des Anges, notre beau Pays va connaître, en cette année qui vient, un grand débrouillement qui secouera son univers paléo-politico-médiatique enfiévré, ses équipages syndicaux en ébullition et peut-être aussi ses rues avec leurs défilés populaires et revendicatifs.

C’est pourquoi il conviendra pour nous aussi de prendre de la hauteur. Mais non sans avoir auparavant, bien entendu, sacrifié à la tradition des vœux les plus chaleureux sous le bouquet suspendu au-dessus de la porte ouverte sur le nouvel an. Car le gui, comme la grive d’ailleurs, nous laisse toujours bien des choses à espérer.

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