Paléolithique

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Le bruit et l’agitation du bar font peu à peu place à une atmosphère feutrée apaisante. Lumière tamisée, murs lambrissés à la blondeur rehaussée à la cire d’abeille et, accrochées çà et là, quelques toiles hautes en couleurs de Claude Soulat.

Par la baie ouverte sur un jardinet envahi par l’hiver, le soleil, parcimonieux, pénètre doucement. La voix chaleureuse de Loreena McKennitt nous accueille en sourdine avec la chanson Down by Sally gardens empruntée aux légendes irlandaises. Jupe étroite, gilet noir sur corsage blanc et cheveux courts évoquant irrésistiblement les blés mûrs au mois d’août, la serveuse nous guide jusqu’à notre table. Coup d’œil rapide et discret sur la salle tandis que nous prenons place.

Au fond et à droite, un jeune couple accompagne manifestement ses vieux parents pour leur sortie dominicale. À gauche, un ménage ordinaire. Monsieur a accroché sa veste au dossier de sa chaise. Madame consulte son miroir. Encore à gauche et masquées par l’une de ces plantes totems à la mode, deux femmes devisent en silence. Au centre, une table inoccupée ornée d’un vase rappelant les faïences de Delft avec trois ou quatre boules d’hortensias au bleu un peu passé. Mais le patron nous apporte les menus. Je vous recommande notre lapin chasseur !

Un nouveau couple en profite pour faire son entrée. La quarantaine, long et sec comme une badine de coudrier, barbe de trois mois peignée à la diable, les épaules affaissées et la tête plongée en avant pour mieux déchiffrer l’écran de son smartphone, l’homme s’assoit d’office à la table centrale. Décontenancée, sa compagne cherche du regard où poser son sac à main. Plus petite que lui, cheveux noirs, visage poupin et tailleur strict d’abonnée à Télérama, elle adresse un sourire crispé aux autres clients qui observent la scène avec compassion. Jaillie de nulle part, la serveuse se précipite, débarrasse la table et dresse deux couverts.

La jeune femme s’assoit à son tour et chacun retrouve ses occupations. Le temps d’échanger avec ma commensale quelques souvenirs pittoresques de salons du livre et la serveuse nous apporte le hors-d’œuvre. Comme s’il n’attendait que ce signal, le soleil perce entre deux nuages et Loreena McKennitt se lance dans The parting glass après un long solo sur sa harpe magique. Les yeux de mon amie se glacent soudain. Regarde !

L’homme de la table du milieu se lance lui aussi à l’assaut de sa pitance. C’est… paléolithique ! Lance-t-elle indignée. C’est en effet le régime alimentaire à la mode en ce moment, lui dis-je. Pour soi-disant manger sain. Comme quand n’existaient pas encore les semis génétiquement modifiés, les engrais, les pesticides, les herbicides et autres fongicides cancérogènes. En un mot, quand la nature n’avait pas encore été corrompue par l’Homme et qu’il pouvait consommer le produit de sa chasse sans craindre les antibiotiques, du poisson sans plomb ni mercure, bien que de nombreuses rivières en charriaient en abondance, des légumes sauvages et pauvres en amidon et des baies rustiques non polluées par les fumées des usines.

Oui, mais là, il mange la même chose que nous ! Il n’en est encore qu’à la première leçon : se comporter comme un néandertalien de souche. Pour obtenir la même durée de vie ? Voilà, par contre, qui laisse bien des choses à penser.

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