De Philippidès à Michel Onfray

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Régulièrement, des petits groupes de marcheurs du troisième âge parviennent à s’échapper de leurs résidences pour séniors et déambulent par les chemins campagnards pour prendre le bon air des arbres, admirer les petites fleurs des champs et, surtout, jaboter sans relâche au point de contraindre les oiseaux au silence. Le Syndicat d’Initiative de la ville voisine a décidé d’innover. C’est toute une escouade de coureurs bardés de leur gilet fluoresçant, de leurs chaussures "running" dernier cri et de leur podomètre hyper connecté qui a dévalé, dimanche dernier, le sentier qui longe mon courtil.

On peut les regarder passer d’un œil goguenard, soufflant et ahanant comme une paire de bœufs devant la charrue. On peut même se demander perfidement pourquoi ils sont si pressés de courir ainsi vers nulle part. Ils ne font en réalité que retrouver les vieux réflexes de nos ancêtres du paléolithique lorsque, faute de baies et de fruits, ces derniers furent contraints d’abandonner le refuge des arbres pour chercher leur nourriture dans la savane. Il leur fallut d’abord courir vite et longtemps pour distancer leurs prédateurs.

Leur morphologie évolua en conséquence. Orteils plus courts pour déjouer les blessures, voûtes plantaires plus larges et plus charnues pour amortir les chocs, épaules plus étroites pour limiter la résistance de l’air et bras moins longs pour éviter les balancements improductifs. Et peu à peu, ils purent non seulement échapper aux lions et aux panthères mais ils se firent eux-mêmes chasseurs de lièvres sauteurs, de phacochères, d’antilopes ou de zébus. Grâce à cette alimentation carnée riche en protéines, leur cerveau acquit alors assez de volume pour permettre aux idées de s’y faire une place.

Inquiets des dangers potentiels d’une telle métamorphose, certains préconisèrent sans aucun doute, selon le vieux principe de précaution, un retour à une nourriture plus saine à base de racines bios et de fruits naturels. Ils ne furent hélas pas écoutés et la maîtrise du feu apporta à son tour son lot de mutations. Désavantagées par leurs nombreuses maternités et l’élevage des enfants en bas âge, les femmes représentaient alors un handicap dans la quête de nouveaux terrains de chasse.

Elles restèrent dorénavant à la grotte pour entretenir le foyer. Elles purent dès lors montrer qu’elles pouvaient, elles aussi, dérouler des raisonnements complexes comme, par exemple, pour la cuisson du gigot d’agneau de pré salé ou de l’entrecôte grillée au thym. Après parfois de longues journées de traque, nos chasseurs furent désormais incités à regagner leurs pénates non plus par de fades relents de viandes faisandées mais par des fumets subtils et délicats. Et on ne sait plus aujourd’hui ce qu’il est le plus difficile à décrypter de la recette du mille-feuille-blanc d’Anne-Sophie Pic ou des calculs de Cédric Villani sur la théorie des équations aux dérivées partielles de la physique statique dans le cadre de l’équation Boltzmann.

Qui aurait alors imaginé que le fait de devoir courir allait un jour conduire homo-sapiens à touiller une sauce sur une paillasse en inox ou à aligner des chiffres et des formules mathématiques sur un tableau noir ? Qui aurait imaginé l’émergence des Homère, Virgile, Ronsard, Lamartine, Aragon ou Carla Bruni ? Qui aurait imaginé les Banquets de Platon, les Vies parallèles de Plutarque, les Essais de Montaigne, la Philosophie du Progrès de Proudhon ou le Cosmos de Michel Onfray ?

L’actuel engouement pour la course à pied augure-t-il un développement plus vaste encore au cours des siècles à venir de la cuisine moléculaire, de la philosophie, des arts et de la littérature ? Voilà qui laisse bien des choses à penser.

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