Le proverbe bantou dit que le berger dressé sur la colline voit plus loin que la chèvre broutant dans la vallée. Fort de cette expérience, notre Grand Berger à nous s’invite donc dans la grande lucarne entre une publicité vantant un produit récurant et une autre exaltant une potion facilitant la digestion. « Oyez, mes chers compatriotes, mes augustes présages ! » Il fut un temps jadis où les réjouissances du solstice d’hiver se portaient moins gravement.
Le maître-soleil avait eu tendance au cours des derniers mois à se coucher de plus en plus tôt et à se lever de plus en plus tard. Qu’adviendrait-il demain s’il réclamait ses RTT et s’adonnait à l’oisiveté, la mère de tous les vices ? Il convenait de lui rappeler son devoir d’éclairer le monde, tout en limitant toutefois le réchauffement climatique aux 2° règlementaires. Le Pays se rassemblait alors à la nuitée. Qui apportait un œuf, qui un fromage, qui trois navets, pour agrémenter un vaste banquet où seraient sacrifiés en guise d’offrande rituelle mille et un canards, dindes, huitres et autres chapons.
Nul ne doutait en effet que le maître-soleil reviendrait dans tout son éclat après cette fastueuse cérémonie. Le moment venu, le grand sorcier, guérisseur ou tout autre bonimenteur habile à user de la parole, invitait trompettes et tambourins à apporter un peu de rythme à la célébration pour dicter leur tempo officiel aux bardes de la bienpensance.
Les prières s’élevaient vers le ciel, chargées des peines et des revendications de chacun. Qui s’estimait discriminé pour son nez de travers et tel autre ostracisé pour ses croyances venues d’ailleurs, qui se plaignait de la terre trop basse qu’il lui fallait pourtant bêcher pour gagner ses choux verts et ses radis roses, qui pesait son escarcelle et la jugeait encore bien maigre, qui espérait gagner le cœur, et plus si affinités, de l’accorte fille du boulanger qui persistait à l’ignorer, qui mendiait simplement soutien et protection pour sa trop modeste vie.
De tous temps en effet, qu’il soit riche ou qu’il soit pauvre, chacun aspire, à l’arrivée d’un nouveau cycle des saisons, à connaître l’aboutissement de ses rêves. Aujourd’hui, tel un chamane relié au futur en "direct-live" grâce à son smartphone, l’Officiant lève onctueusement la main et le silence s’abat sur les terrasses et les cafés, lourd des rancœurs accumulées et des espérances déçues mais lourd aussi des attentes soudées au cœur et à l’âme. « C’est l’heure ! » Et chacun de s’embrasser en une immense clameur qui se hisse d’un coup jusqu’aux voûtes étoilées.
Un trait clair barre bientôt l’horizon des contrées où naissent les vents de traverse. La foule met un genou en terre pour remercier le maître-soleil de l’avoir écoutée et félicite le Grand Berger pour la puissance de sa magie. Nul ne doute alors que les oracles qu’il vient de proférer d’une voix ferme se réaliseront : les courbes fatales s’inverseront enfin, le chômage et la pauvreté disparaîtront et le lait et le miel couleront en abondance de Bastille à Nation.
Certes, maintes zones d’ombre laissent encore bien des choses à penser. Mais les chemins de l’avenir sont si imprévisibles que les traditionnels vœux de belle et heureuse année ne resteront peut-être pas lettres mortes, cette fois !