Invité à échanger avec des élèves de Cours Préparatoire. Après les présentations, la discussion s’engage sur la migration des grues et des oies sauvages qui traversent en ce moment le ciel de notre région.
Une petite Amina aux yeux malins et au visage d’ange prend la parole. « Les mouettes et les canards, ce n’est pas pareil parce que les mouettes, elles volent et que les canards….aussi ! » Rires de la classe, bien sûr, pour cette saillie digne de Pierre Dac. Mais elle ne perd pas son sang-froid et ajoute avec aplomb : « je l’ai vu à la télé ! ».
Mon interlocutrice présente manifestement toutes les qualités requises pour faire plus tard femme politique sinon même journaliste d’investigation ou brillante commentatrice à cette télévision qu’elle semble regarder avec beaucoup d’intérêt.
Nous sommes bien éloignés des Blanche neige, Petit Chaperon Rouge, Cendrillon ou Boucle d’or des contes qui émerveillaient les enfants d’autrefois et des Reine des neiges, les Pirates des Caraïbes et autres Barbie à la plage qui la fascinaient encore à l’époque de l’école maternelle.
Mais les enfants grandissent si vite ! Que sont devenus les héros qui peuplaient alors l’imaginaire de ses parents ? Les épopées d’Homère relataient les hauts faits de guerre d’Ulysse, d’Achille et d’Agamemnon contre Hector et les valeureux défenseurs de la ville de Troie.
Les contes décrivaient les combats terrifiants de princes intrépides contre des dragons cracheurs de feu qui mangent d’innocentes jeunes filles les nuits de pleine lune. Les chansons de geste déclamaient la mort de Roland à Roncevaux ou la folle équipée des quatre fils Aymon. Les romans de chevalerie célébraient la bravoure des croisés chevauchant à l’assaut des forteresses des infidèles ou exaltaient la témérité de cadets en cotte de maille s’affrontant en duel pour les beaux yeux de leur dame. Et ce n’étaient que corps-à-corps furieux, joutes sanglantes, batailles épiques, charges dantesques.
Les trouvères, poètes et troubadours ne chantaient jamais les paisibles besognes des paysans, des tailleurs de pierre ou des bûcherons. Ces derniers avaient autre chose à faire qu’à guerroyer. Ils devaient nourrir, loger et chauffer le seigneur et le roi.
Quels sont aujourd’hui les héros célébrés par nos écrans, nos magazines et nos médias en général ? Les princes viennent platement d’Arabie dépenser dans nos palaces les dollars que nous leurs échangeons contre du pétrole. Des hussards de la mer naviguent certes en solitaires mais par des océans sillonnés de milliers de porte-conteneurs et sur des bateaux financés par des annonceurs en mal d’image. Des supers héros de cinéma bardés de pouvoirs futuristes séduisent certes encore des adolescents friands d’émotions fortes.
Des idoles traversent certes régulièrement les feux de la gloire pour avoir couru derrière un ballon plus vite que l’éclair, vendu leurs chansons des millions de fois en streaming sur internet ou gagné un statut de vedette dans une émissions de téléréalité. Mais les uns et autres passent et disparaissent comme les étoiles filantes dans un ciel d’été.
Les héros et héroïnes d’aujourd’hui sont des gens comme vous et moi, proies consentantes de la normalitude ordinaire qui fait du nombril de chacun un centre du monde extraverti exposé à tous vents sur les réseaux sociaux.
En un mot, en nos jours de grande platitude cathodique où le "moi-moi-moi" est répété à l’envi comme un mantra de moine tibétain, seules les publicités font encore rêver. Ce qui devrait laisser, au consommateur, bien des choses à penser.