Un vent de traverse aiguise l’air aux senteurs de sous-bois et frise les flaques d’eau d’une pellicule glacée. De quoi encourager un jardinier mêlé de paresse à s’établir sans regret devant une flambée de châtaignier avec son chat et un bon livre.
Le hasard a choisi de placer Ma mère du Nord de Jean-Louis Fournier au sommet de la pile d’attente. Mais Jean-Louis Fournier est très agaçant. Après son livre Trop, je me suis dit que, décidément, "Trop" est de trop. Il présente certes l’avantage de se lire rondement. Mais après l’avoir refermé, je me suis dit que si le prochain est de la même veine, je passe.
Le suivant sera consacré à la grammaire, à l’arithmétique et aux sciences naturelles vues à la manière de Jean-Louis Fournier, c’est-à-dire, impertinente. Comme il y a un quart de siècle ! Il y a redondance. Donc je passe. Mais je me sens malgré tout vaguement coupable. L’auteur de "Où on va Papa ?" et de ">Veuf " mérite tout de même un peu plus d’indulgence pour ces petits amusements passagers.
C’est pourquoi, lorsque paraît "Ma mère du Nord", je confirme à la libraire, je prends. Les 176 pages de ce nouvel ouvrage peuvent très bien se dévorer à la vitesse de la lumière comme celles des précédents. À tort. Il est en effet inutile de se presser : comme dans les précédents, aucune intrigue ne tient en haleine, aucun coupable n’est à démasquer et aucune course poursuite non plus sinon à travers le temps qu’il faut remonter jusqu’après la grande guerre.
Jean-Louis Fournier nous a régulièrement tenus informés sur sa famille. Son père, ses fils, sa fille, son épouse. Nul doute que la prochaine victime sera son grand-oncle Antoine. Pour l’heure, il se raconte sa mère. Avec quelques photographies en noir et blanc, quelques souvenirs décolorés et quelques témoignages grappillés ici ou là, il reconstitue son parcours depuis cette période sépia où elle posait, un petit sourire filou sur les lèvres, entre le papier peint aux fleurs fanées et ses austères parents. Elle était jeune, jolie, un brin naïve, rêveuse, idéaliste surtout et se révélera courageuse.
De ce courage modeste qui surmonte les épreuves avec distance. Et Jean-Louis Fournier profite de l’occasion pour revisiter sa propre enfance, dans les contrées du nord, entre sa mère, qui tient ici le rôle-titre, son père médecin et alcoolique dont il a déjà parlé dans Il n’a jamais tué personne, une fratrie plutôt absente et une Bonne-Maman trop présente mais parfois bien utile.
Il déroule les séquences avec sa tendresse acide coutumière, son sens de la formule élégante, vive, légère, volatile. Il s’y donne le bon et le mauvais rôle à la fois. Comme tout bon fils qui se reproche, arrivé à l’âge adulte, de n’avoir pas assez souvent dit "je t’aime" à ses parents ou d’avoir passé trop peu de temps à leurs côtés lorsqu’ils touchaient à la vieillesse.
Alexandre Vilatte écrivait que, sans la femme, l’homme vivrait comme un veuf. Il aurait pu ajouter l’orphelin. Jean-Louis Fournier le démontre avec ce recueil d’anecdotes où il compense la relative froideur de sa mère due, pense-t-il, à sa timidité par la chaleur aimante d’un fils qui use avec complaisance de la pirouette pour masquer ses yeux qui brillent autant de malice que de mélancolie.
Un livre à lire sans précipitation mais avec gourmandise. Et à garder à portée de la main pour s’y replonger de temps à autre. Parce qu’on y retrouve tout ce que l’on aurait bien aimé dire soi-même et qu’il dit si bien. (Ma mère du Nord, Jean-Louis Fournier, éditions Stock)