Je le constate chaque jour dans mon courtil : nous sommes en hiver. On peut jouir bien sûr de temps à autre d’un ciel dégagé, d’une pelouse luisante comme une chevelure de perle sous un soleil piquant ou d’une fleur de pommier du japon comme un camée rouge sang au milieu d’une haie grisâtre. Mais l’hiver de vent, de froidure et de pluie est encore là, bien présent. C’est le moment que choisit le jardinier pour inspecter ses outils et trier les mille et un brimborions entassés "à la diable" sur ses étagères.
Jetez-moi toutes ces vieilleries inutiles qui encombrent ! Certes ! Mais pas cette pierre de mica aux alumines argentées qui pourrait faire un presse-papier original. Pas cette poignée en cuivre. Bien astiquée, elle sera du meilleur effet sur la jardinière bricolée à partir des chutes du cerisier abattu l’an dernier. Et cet arrosoir de zinc au fond percé non plus. Une cascade de fleurs de capucines et d’ipomées pourra en jaillir, cet été, dans un bouillonnement d’oranges et de bleus. Et la nuit arrive sans que vous ayez rempli votre cabas. La responsabilité en incombe à vos parents qui vous ont appris depuis votre plus tendre enfance à ne jamais rien jeter. « Ça peut toujours servir ! » Mais les jardiniers ne sont pas les seuls à mettre cette période de grisaille à profit.
Après les soldes, les boutiquiers procèdent eux aussi à l’inventaire de leur échoppe. Ils redécouvrent ainsi mille et un trésors disparus comme cette bottine orpheline accoquinée avec une antique charentaise, cette jupe et ce corsage dépareillés abandonnés, sans doute, par quelque guerluchonne dévergondée, le manteau de fourrure de l’ancienne maîtresse du patron ou le parapluie rose au pommeau de nacre de la femme du sous-préfet qui lui a succédé. En semblable circonstance, on retrouva même un jour dans un Grand Magasin parisien une vendeuse stagiaire réfugiée au fond d’une cabine d’essayage désaffectée, un herboriste tout desséché qui cherchait la sortie et un contrôleur des impôts égaré dans la réserve du troisième sous-sol. On téléphona en toute hâte à la famille de ce dernier. Elle vint le reprendre en rechignant et en traînant des pieds. Pour la consoler, on lui fit cadeau, en prime, d’un lot de savons parfumés à la lavande et d’une paire de chaussettes de footballeur à la retraite. Ce brave fonctionnaire avait pourtant bénéficié d’une chance inespérée.
L’administration rechigne la plupart du temps à établir un relevé exhaustif de ses placards. Les gouvernements, eux, y sont contraints, les ministres étant généralement exposés en vitrine. Du moins, pour les plus chatoyants d’entre eux.
Le Président ne jettera évidemment pas ceux qui n’ont guère servi depuis le précédent remaniement. Ils n’auront pas eu le temps de se défraîchir et demeureront, quoi qu’il en soit, dans les oubliettes de l’Histoire. Il hésitera ensuite sur le sort de ceux qui ont montré tant d’éclat qu’ils l’ont rejeté dans une pénombre intolérable. Risquent-ils d’aller briller ailleurs, sur les plateaux de télévision par exemple ou dans les librairies ? Il écartera d’un implacable revers de la main ceux dont il ne peut plus supporter le nez au milieu de la figure. Et il terminera, comme il se doit, par ceux qui sont manifestement à bout de souffle et usés jusqu’à la corde.
Comme le jardinier, il composera ainsi de bric et de broc une nouvelle équipe toute frétillante d’impatience. Laissant aux commentateurs bien des choses à penser à propos de son futur.