Rencontrer la beauté.

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Les vacances de solstice d’hiver approchent. « Dansons la capucine ! » dirait Denisa Kerschova. La fatigue en effet se fait sentir et les enfants sont distraits.

La fébrilité sera à son comble lorsqu’à l’issue d’un petit spectacle de clown, le Père Noël municipal distribuera à chacun son cadeau de pacotille. Mais forte de sa longue expérience, la directrice de l’école communale a prévu avec réalisme de respecter une pause dans l’apprentissage des tables de multiplication et des règles d’accord du participe passé.

Elle emmène les élèves de Cours Moyen à la Médi@thèque de la ville où sont exposés quelques "paysages" d’Henri Cuéco. En sa qualité de responsable du Point Lecture du village, elle me réquisitionne sans vergogne pour faire la police dans l’autocar. L’arrivée sur les lieux d’une cinquantaine de gamins excités ne peut passer inaperçue. Leur silence stupéfait en est d’autant plus remarquable lorsqu’ils arrivent devant les immenses toiles du maître.

La force et la grâce qui s’en dégagent, la légèreté des envolées lyriques, la noirceur des entrailles d’où elles sont supposées jaillir, la pesanteur des ombres qui semblent vouloir les retenir, tout concourt à provoquer chez ces enfants naturellement chahuteurs un saisissement tel qu’une seule petite voix s’élèvera après les premiers instants de sidération : c’est beau !

Ils donneront par la suite, volubiles et prolixes, leurs propres interprétations. Ils chercheront les mots les plus appropriés et les images les plus proches de ce qu’ils ressentent et imaginent. Ils remporteront dans leur besace une richesse sans pareille. Ils auront rencontré la beauté.

Comme chacun, ils ne savent pas bien la dire parce qu’une telle rencontre est toujours si personnelle et l’émotion qu’elle suscite toujours si intense qu’elles en deviennent presque indicibles. Qui n’est jamais resté muet devant la beauté grandiose d’un Cirque de Gavarnie qui se déploie avec majesté aux pieds du promeneur ? Qui n’est jamais resté saisi devant le spectacle d’un lever de soleil sur un étang ourlé des velours de l’automne ? Qui n’a jamais marqué le pas pour contempler le jeu de la lumière dans les cabrioles des vagues du ruisseau entre les ajoncs et les rochers moussus ?

Vous posez le sac et vous vous laissez imprégner jusqu’au moindre recoin de l’âme. Et se saouler de beauté en communion avec d’autres ajoute encore à l’enchantement. Ainsi pour la vingtaine de personnes sagement assises sur les inconfortables bancs de bois de l’église Notre Dame de Guibray à Falaise en Normandie. Au-dessus de leur tête, trône l’un des derniers orgues Parisot encore en service. Quelques arpèges échappés au hasard se lancent tout à coup dans une course désordonnée. Puis le silence retombe, à peine troublé de quelques chuchotis.

Lorsque soudain explosent les premières mesures de la célèbre toccata et fugue en mineur de Jean-Sébastien Bach. Les vénérables voûtes romanes vibrent d’incandescence, embarquant les quelques amateurs présents dans un tourbillon étourdissant. Lorsque viendra le temps de repartir, je ne serai pas le seul à essuyer une larme sur ma joue. Nous venons de rencontrer la beauté.

Ces instants sont souvent éphémères ; ils sont toujours précaires. Il faut les saisir et les protéger parce qu’ils nous rendent alors profondément humains. Tous les enfants devraient avoir droit à cette plongée dans ce que l’homme et la nature offrent de plus beau. Ils connaîtront les difficultés, les douleurs et les découragements mais ils pourront puiser dans ces formidables expériences intimes les ressources nécessaires à les surmonter. Car elles nous laissent toujours bien des choses à penser.

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