Déjeuner avec mon ami Jean-Paul, dit Porthos en référence à son tour de taille pantagruélique. Professeur de grec ancien à la retraite et fouilleur de pierres émérite au cœur du Péloponnèse, il participait joyeusement aux agapes des Vieux Gamins du Céladon, le restaurant de la Médi@thèque de la Ville. Mais le Céladon n’est plus et notre groupe s’est quelque peu dispersé, chacun ayant rejoint sa parentèle, ses passions dévorantes ou quelque autre compagnie.
Lui revient régulièrement en nos contrées perdues, habile à repérer de nouvelles tables riches d’originalité, de convivialité et d’authenticité. Et il y consacre d’autant plus d’énergie qu’il vient de découvrir l’importance primordiale de ses viscères dans la qualité de son bien-être.
Pour devenir un homo-sapiens qui se respecte, le primate qui a donné naissance au premier hominidé a dû subir une multitude d’épreuves dont la quête de nourriture est certainement la plus importante. En adoptant la station debout, il s’est servi au fil de temps de plus en plus habilement de ses mains jusqu’à maîtriser le feu. Dominer la cuisson à 200° du filet de mammouth aux morilles eut pour effet d’enrichir et de diversifier son alimentation et de le conduire bientôt à composer des recettes de cuisine élaborées. Ce qui développa son cerveau au point que l’on pourrait croire aujourd’hui que ses descendants ont tout remisé sous leur béret, besoins, désirs et même pensées profondes.
En réalité et contrairement aux apparences, le ventre et surtout les intestins ont conservé toutes leurs prérogatives. Ils contrôlent par exemple la production de sérotonine qui commande à la fabrication de la mélatonine qui, elle-même, facilite l’endormissement aussi sûrement qu’un repas trop copieux provoque la somnolence devant la télévision.
Vous raffolez d’éclairs au chocolat, de religieuses, de paris-brest ou, plus simplement, de chouquettes fourrées à la crème au beurre. Les nutritionnistes vous alerteront sur les risques de diabète. À tort car vous ne pouvez comprendre leurs explications, l’excès de sucre dans les intestins ramollissant directement vos possibilités cognitives.
Vous êtes un adepte des plats roboratifs tels que le magret de canard, le cassoulet, la choucroute ou le bœuf bourguignon. Votre médecin de famille vous met en garde contre le surpoids. À tort car, sauf à vous le répéter quotidiennement, vous ne vous en souviendrez pas tant les graisses, lorsqu’elles transitent par vos intestins, alanguissent vos capacités de mémoire.
Vous êtes d’un naturel peu avenant et vous présentez régulièrement une face bougonne à vos interlocuteurs. N’en accusez pas le temps maussade, les embouteillages ou votre chef de service. N’en tenez pas rigueur non plus à vos géniteurs qui vous auraient transmis de mauvais gènes. Les coupables seraient les microbes qui prolifèrent dans votre côlon.
En effet, les innombrables bactéries, archées, virus et autres protistes et fungi qui le colonisent seraient à la source, par l’intermédiaire entre autres du nerf vague, d’ordres impératifs que votre cerveau exécute servilement et sans discuter. C’est pourquoi, si, par un matin de grisaille, vous traînez un infini vague à l’âme qui pèse sur vos épaules, ralentit vos pas sur la pelouse de votre courtil et entrave vos performances au potager, demandez à votre ventre ce qu’il en pense. Et selon sa réponse, pansez-le comme il convient et tout ira pour le mieux.
Car l’homme est en grande partie demeuré, comme le primate qu’il fut à l’origine, un ventre sur pattes. Même s’il parvient de temps à autre à tromper son monde et à donner l’impression d’atteindre les félicités de l’art comme avec les compositions des Fréro Delavega ou les publications des Marc Lévy et Guillaume Musso réunis. Ce qui laisse encore bien des choses à penser à son sujet.