Le soleil, la mer, le sable chaud et les moules-frites. Il y a des jours où le rêve de quat ’sous resterait presque le meilleur remède à la grisaille du ciel avec son perpétuel triptyque, humidité de l’air, chaleur et orage. Blottie au cœur des Monts, la vallée en est souvent épargnée. Mais les premiers grognements précèdent de peu une belle bordée de vent qui secoue les futaies. Les premières gouttes s’écrasent dans un bruit d’enfer sur les feuilles du marronnier.
Je me replie piteusement sous mon appentis. Le vacarme de la grêle contre les tuiles relègue l’"hymne à Vénus" de Tannhäuser diffusé à la radio dans les brumes germaniques. De guerre lasse, je regagne mon bureau. Mon chat César m’y a hélas précédé, excédé sans doute lui aussi par les intempéries. L’ennui ou mon absence ont si bien titillé son humeur qu’il y a semé une jolie pagaille.
Ma petite voisine Anaïs elle-même n’est jamais parvenue à un si brillant résultat. Pendant qu’il se repose benoîtement dans mon fauteuil, je remets chaque chose à sa place. Force m’est alors de constater que manque le magnifique stylo-plume de marque qu’une lectrice sous le charme de mes petites histoires m’avait gracieusement offert lors d’une fête du livre en Pays Basque.
Avec les années, nous nous étions l’un et l’autre peu à peu apprivoisés et il s’était bientôt révélé un précieux auxiliaire pour calligraphier les pleins et les déliés lors des dédicaces de mes romans. On a évidemment tort de s’attacher à ces produits manufacturés comme s’ils avaient eux aussi une âme. Le voici aujourd’hui retenu prisonnier sous l’armoire normande qui me tient lieu de bibliothèque et c’est avec nostalgie que je vais devoir me contenter d’un vulgaire stylo à bille publicitaire.
Mais je ne désespère pas de lui rendre un jour sa dignité. L’université de Berkeley, en Californie, vient de mettre au point un cafard mécanique de 46g seulement et capable de s’insinuer dans une ouverture d’à peine 1 centimètre. Une micro-caméra permet de suivre son parcours et de le guider jusqu’à son but. Là, à l’aide de deux micro-pinces, il peut agripper un objet de dix fois son poids et le traîner jusqu’à destination.
Il peut même travailler en meute et ses inventeurs ne désespèrent pas de l’utiliser un jour lors de tremblements de terre pour rechercher des survivants et peut-être même les tracter jusqu’aux sauveteurs. En réalité, ces micro-robots de la taille d’un insecte sont de plus en plus nombreux, depuis le moustique et l’abeille jusqu’à l’araignée d’eau, la puce et la termite. On voit bien les utilisations militaires qui pourraient en être faites. Espionnage, surveillance des milieux sensibles, attaque en masse de l’ennemi ainsi déstabilisé et fragilisé.
On peut imaginer des usages plus paisibles. Ainsi, inutile de s’enquérir de poil à gratter dans les haies d’églantiers pour faire une farce désopilante. Une puce agrémentée de son attirail électronique remplacera avantageusement les graterons urticants. Un moustique radioguidé fera perdre la tête à l’ami importun qui abuse de votre hospitalité. Un essaim de cancrelats libéré dans la cuisine de votre mégère de voisine l’incitera à déménager au plus vite.
Les journées gâchées par les orages et la pluie se pareront ainsi des belles couleurs de la bonne humeur et peut-être même pourrai-je ainsi recouvrer mon inestimable stylo. On voit par-là que les chemins du futur nous laissent bien des choses à espérer.