Réchauffement climatique (encore)

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Séance de dédicaces dans une petite librairie sertie avec modestie entre une boucherie à l’étal regorgeant de plats cuisinés et de poulets rôtis et une bijouterie à la vitrine rutilante.

Quelques habitués, dûment convoqués par la libraire aux cheveux argentés et presque impotente, poussent malgré tout la porte recouverte d’affiches. Le tintement de la sonnette signale consciencieusement leur arrivée suivi du respectueux bonjour dû aux livres, aux années de notre hôtesse et peut-être aussi à l’auteur qui a eu l’idée saugrenue de se déplacer jusqu’ici.

Alors que les cloches de la Collégiale avertissent les quelques employés de la sous-préfecture que l’heure du repas est arrivée, entre un ultime client. Long et sec comme une baguette de coudrier qui serait surmontée, telle une pique de révolutionnaire, d’une tête à la face de carême, il se glisse jusqu’à la petite table où j’officie. Dans votre Chartil, attaque-t-il d’emblée, vous avez fait des erreurs ! Je me lève, souris d’un air contrit et avance la main en signe de paix. Je parle de météorologie, ajoute-t-il en ignorant mon invitation. J’ai consulté mes cahiers. Vous n’êtes pas très rigoureux au sujet de la pluie et du beau temps que vous infligez à votre héros.

Devant mon regard interrogateur, il m’invite à le suivre. Le temps de remercier la maîtresse des lieux et j’accompagne mon lecteur, plutôt intrigué. C’est là, m’indique-t-il d’un geste en désignant un discret pavillon précédé de son jardinet. Point d’arbre, ici, ni d’arbrisseau et moins encore de fleurs. S’y dressent dans des cages grillagées abritées d’un toit de zinc, pluviomètre, hydromètre, thermomètres, baromètre, hypsomètre, altimètre et autres anémomètres ainsi qu’une girouette représentant un laboureur, son bœuf et son araire.

La nature n’a qu’à bien se tenir. De la moindre de ses humeurs, de ses hésitations ou de ses bouderies, rien n’échappe à notre amateur. J’ai toutes les données depuis 1956. C’était moins moderne, à l’époque. Il fallait tout noter sur un cahier. Aujourd’hui, c’est directement dans l’ordinateur. Mais je vérifie tout de même à la main comme d’habitude. Et vous en faites quoi, de tous ces cahiers ?

Il me regarde comme si j’étais quelque martien tombé par inadvertance de sa planète perdue dans les fonds de l’univers. Je les archive, bien sûr ! Et il m’entraîne à l’intérieur de sa maison où s’entassent des rangées de cahiers soigneusement ficelés et étiquetés. Nous louvoyons dans le couloir, passons devant une première chambre pleine à ras bord, une seconde dans le même état et une pièce donnant au sud probablement destinée à l’origine à recevoir d’éventuels visiteurs tout aussi envahie.

Tout est là, dit-il avant de me faire entrer dans ce qui semble lui tenir lieu de cuisine. Sur la table encombrée d’assiettes sales, de casseroles et d’une poêle encore encombrée d’un reste d’omelette, trône en majesté un registre noirci de chiffres. Tenez, hier, à 10h44mn, la température était de 18,3° centigrades, le taux d’humidité de 44%, la vitesse du vent de 8,12 kms/heure et la pression atmosphérique de 1013 hectopascals. Voilà qui est fort intéressant, dis-je poliment. Mais à quoi tout cela sert-il ? Il esquisse un sourire avec la patience du professeur d’université chevronné faisant face à un parterre d’étudiants tout juste sortis du baccalauréat. Pour la science, monsieur ! Pour la science.

Dans 200 ans, dans 400 ans, les chercheurs disposeront là de données scientifiquement vérifiées. Ils pourront définitivement établir la réalité du réchauffement climatique ! Même lorsqu’ils sont figés dans des registres poussiéreux, les chemins du passé demeurent toujours multiples et aléatoires. Mais ceux de l’avenir n’en sont pas moins imprévisibles. Nos savants du futur trouveront donc là bien des choses à penser.

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