De l’utilisation des chiffres, mais pas de tous

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Dans son allocution en forme d'interview, le président a brillamment, de mémoire, cité un certain nombre de chiffres portant sur les pertes que les mouvements sociaux ont occasionné aux recettes de l’État depuis la révolution, soit environ 5 milliards de dollars. Mais il ne nous a pas expliqué la raison pour laquelle on n'a pas tout fait pour négocier avec les mineurs, quitte à investir dans la satisfaction des revendications sociales un ou deux milliards de dollars : on aurait alors gagné trois ou quatre milliards de dollars !

Il nous a également dit qu'il fallait, dans l’État de droit que devenait la Tunisie, appliquer la loi et faire cesser tous ces mouvements de grève. Argument judicieux et qu'on devrait généraliser : pourquoi ne pas appliquer la loi également à l'encontre de tous ceux qui ont pillé les richesses du pays, directement ou par la corruption active ou passive, et de tous ceux, spéculateurs ou parasites, qui financent le marché parallèle et engrangent des fortunes .

Gageons que la somme perdue par l’État, seulement sous forme d'impôts non perçus, sans même parler des indemnités de retard, dépasserait de plus de vingt fois la perte qu'auraient provoquée les travailleurs du bassin minier ; qui, eux, n'y ont pas vraiment gagné.

Pourquoi cette application discriminatoire des principes de l’État de droit, qui s'accommoderait d'une totale impunité des riches fraudeurs et de leurs complices, qu'on encourage par le projet de loi de « réconciliation économique », et qui ne supporterait pas les mouvements sociaux, au prétexte qu'ils reviennent cher ? Et pourquoi ne pas poser la question de la répartition équitable des richesses entre l’État et les régions où elles sont produites, régions défavorisées et discriminées depuis fort longtemps, et qui ne demandent que des investissements pour se redresser ?

Au lieu de poser les bonnes questions, on se réfugie dans la menace, en oubliant que la politique du bâton a été la cause de la chute de Ben Ali et que les Tunisiens depuis un certain 14 janvier, ne veulent plus se laisser faire. Mais notre président a trouvé la parade : pour arrêter les mouvements sociaux, il va faire entrer l'UGTT au gouvernement ! Et c'est celle-ci, avec l’UTICA, qui aura la tâche d'empêcher les grèves.

Quel manque d'imagination ! Quelle absence de mémoire ! Ce système a été essayé à maintes reprises et a toujours échoué, le plus spectaculaire épisode en a été le pacte social signé par Hédi Nouira et Habib Achour, qui s'est terminé par la répression sanglante du 26 janvier 1978, et par la crise la plus grave du régime de Bourguiba. Et il n'y avait pas eu de révolution qui aurait permis aux protestataires de prendre conscience de leur force !

Si même, ce qui paraît totalement exclu, la direction de l'UGTT acceptait de jouer ce rôle, elle ne pourrait pas garder le lien avec les ouvriers, ne serait pas suivie par eux. Arrêtons donc de rêver, les beaux jours des nantis sont près de prendre fin et ce n'est pas en allant dans leur sens qu'on pourra sauver l’État, car ce sont eux la cause de l'appauvrissement, et peut-être de la faillite, de cet État.

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