Le 7ème anniversaire du déclenchement de la révolution, l’immolation de Mohamed Bouazizi le 17 décembre 2010, est pour moi l’occasion de renouveler la joie que j’éprouve, avec toutes les femmes et les hommes libres de notre pays, de célébrer une révolution plus grande que nous, porteuse de plus d’espoirs que tous ceux qui y ont été mis, qui a aboli le régime du parti unique, qui a rendu la liberté à la parole, à la pensée, à l’activité intellectuelle, aux initiatives de divers ordres, politique, social, culturel, etc.
Pour des raisons historiques, en particulier parce qu’on ne sort pas de plus de sept décennies d’oppression et de domination sans dommages, sans avoir besoin de se reconstruire, le peuple tunisien a laissé des représentants du passé s’emparer du pouvoir politique ; avec l’aval ou l’accord tacite de tous les mouvements politiques organisés, ces dirigeants se sont efforcés, sous couvert d’un soi-disant processus démocratique, de revenir en arrière, de faire passer dans les faits la contre-révolution pour laquelle ils se sont mobilisés, et j’inclus, dans ce terme de contre-révolution, aussi bien les tentatives, et les actes, des islamistes d’Ennahdha, que ceux des responsables "civils" de Nida Tounès, et de leurs alliés et soutiens.
En résumé, ces sept ans de nouveau régime n’ont pas apporté de vraies solutions aux problèmes du pays, à commencer par la reconstruction de l’État, ni de réponses à la plupart des revendications populaires ; comme les forces populaires ont été écartées des débats sur les choix du pays, quand elles n’ont pas été réprimées, elles sont dominées par un sentiment de désespoir, et d’impuissance devant l’extension de la corruption et la collusion des barons de la corruption et une partie non négligeable des personnels politiques.
Ce désespoir s’est exprimé de diverses façons, haraga, départs en Syrie, mais aussi dans la très belle lettre d’adieu du jeune Saif Ghrairi Thairi avant sa tentative de suicide, heureusement sans succès : il semblerait pour beaucoup que la révolution risque d’échouer.
C’est aussi ce qui ressort de l’initiative des 250 personnalités de la société civile tunisienne qui viennent de lancer "l’Appel du 17 décembre 2017, un courant de vigilance civique et une mise en garde solennelle au pouvoir en place". Passons sur le temps que ces personnalités ont mis pour s’apercevoir qu’il y a des contre-révolutionnaires au pouvoir, l’essentiel n’est-il pas de rejoindre le camp du bon sens ? Et saluons leur volonté de lutter contre ces contre-révolutionnaires.
Mais je veux répéter ici ce que je ne cesse de marteler depuis sept ans : la révolution n’avance pas beaucoup, elle ne réagit pas vite, elle paraît paralysée, mais elle n’est pas morte, il s’en faut de beaucoup. Tout d’abord, rappelons qu’une révolution, en gros, se déroule en deux temps : un premier temps où elle détruit l’ancien régime et un autre (qui peut durer longtemps) où elle construit le nouvel appareil d’État et établit les bases juridiques et pratiques du nouveau régime.
Elle a réalisé le premier temps, la destruction des bases de l’ancien régime, c’est-à-dire la fusion de l’État avec l’appareil du parti unique de fait, le RCD.
Désormais, il ne sera plus possible que s’instaure un État de parti unique, que ce soit par la force de la volonté populaire ou par l’existence de nombreux partis qui ne s’effaceront pas facilement, et qui ne seront pas capables de remplacer le RCD : l’échec d’Ennahdha à le faire en est une démonstration.
C’est dans cette réalité que résident en grande partie, à mon avis, la persistance et l’accroissement de la corruption : l’État du parti unique finançait le RCD, il ne peut plus le faire maintenant ; cela explique la nécessité pour les partis, qui n’ont qu’un seul objectif, le pouvoir, avec ce qu’il peut offrir comme privilèges à ceux qui n’ont guère de principes, de rechercher des financements plus que douteux : « hommes d’affaires » aux fortunes d’origine plus que suspecte, souvent liées à des détournements, des trafics illégaux, des activités mafieuses de toute sorte, allant peut-être jusqu’au financement de terroristes.
Il n’y a pas d’autres possibilités intérieures de financement pour ces partis qui ne s’appuient pas sur des classes populaires, et les financements par l’étranger, risqués politiquement, ne sont pas toujours accessibles.
Et ces soutiens financiers des partis ne sont pas des mécènes, ils tirent de ce financement nombre d’avantages, et empêchent tout progrès économique et politique. Ainsi nourrie, la contre-révolution, ne pouvant revenir en arrière, n’ayant pas de solution pour l’avenir, ne peut qu’aggraver la crise dans laquelle vit le pays et, de ce fait, se couper peu à peu des soutiens dont elle a pu bénéficier dans le passé…
Et l’aggravation de la crise et l’absence de solution venant du pouvoir aboutira nécessairement à une reprise de la révolution, dont tout montre qu’elle est d’autant plus vivante que, malgré les tentatives de la réprimer, la liberté d’expression, principal acquis de la révolution, est toujours forte et que les jeunes formés dans cet esprit de liberté, seront toujours plus décidés.