Conte de Noël : V – Les problèmes du roi Renard avec son chambellan

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Avertissement : Avant de poursuivre son récit, le chroniqueur tient à s’excuser auprès de ses lecteurs de son long silence : des occupations impérieuses l’ont un moment tenu éloigné de la jungle où, semblait-il, il ne se passait pas grand-chose de nouveau. Après s’être enquis de la situation auprès de témoins crédibles, nous sommes à nouveau en mesure de reprendre le fil de notre narration : par un heureux hasard, cette reprise coïncide avec la célébration de Noël, ce qui justifie encore plus le sous-titre, Conte de Noël.

Résumé des épisodes précédents : Après son élection, le nouveau (et provisoire, pensaient beaucoup d'animaux qui s'étaient trompés en cela) roi, qui, pour assurer sa sécurité, s’était allié avec les hyènes, ennemis traditionnels des grands de la jungle, se mit en tête de créer une dynastie de renards.

Ce projet obligea le renard à chercher à élargir ses alliances et à être plus généreux envers les anciens grands et leurs domestiques à qui il s’efforça de rendre mille grâces, n’hésitant pas leur restituer une partie de leurs avantages et de leur splendeurs du passé.

Mais les nuages continuaient de s'amonceler autour du trône, les plus importants, mais pas les plus spectaculaires venant du peuple des animaux. La visite que firent au roi l’éléphant et l’âne, envoyés du puissant Président d’outre-mer, n’eut pas de conséquences immédiatement visibles, mais les relations entre le renard et le mulet, son premier chambellan ne s’arrangeaient pas…

L’événement le plus important de la période récente, et que paradoxalement personne n’a relié d’une quelconque façon à la visite des hôtes d’outre-mer, avait été le changement de chambellan. Le mulet, aux dires du renard, malgré toutes ses qualités, était trop âgé pour diriger la jungle. On eut la délicatesse de ne pas relever que, venant d’un si vieux roi, la remarque paraissait inconvenante, et l’on admit que la sagesse du roi alliée à la jeunesse d’un nouveau chambellan allait donner un souffle appréciable au royaume.

Passons sur les péripéties qui marquèrent le changement de cap, et l’apparente résistance du mulet à accepter son départ : bah, dit-on, les mulets sont têtus, celui-ci comme les autres, mais il dut s’incliner, et laisser la place à un jeune zèbre qui avait suivi des séances d’équitation outre-mer, où, dit-on, son habileté et sa droiture avaient été appréciées.

Pour marquer nettement le dynamisme qui devait caractériser le changement, le renard fit adopter une série de principes que l’équipe du chambellan devraient mettre en œuvre. Tout d’abord cette équipe devrait représenter les divers types d’animaux supérieurs de la jungle, y compris les hyènes qui eurent l’impression d’être renforcés par cette reconnaissance officielle d’une alliance de fait bien établie.

L’échantillon n’était pas très exhaustif et semblait boiter un peu, mais, comme il paraissait avoir un tout petit peu affaibli la puissance des hyènes, les autres s’en dirent satisfaits, y compris un ourson qui clamait son hostilité à ces vilaines bêtes tout en acceptant de dîner avec elles fréquemment : mais des mauvaises langues insinuaient que les hyènes avaient la réalité du pouvoir, ce que le renard niait à toute occasion, essayant même d’obtenir du grand conseil des animaux davantage de pouvoir, pour lui et son fils, le renardeau.

Un autre principe, proclamé solennellement par le roi renard, était, conformément à ce qu’il avait promis à ses deux invités d’au-delà des mers, de punir avec fermeté, et justice, ceux qui n’avaient pas respecté les quotas de chasse ou qui avaient fait commerce des provisions de viande, dans le passé comme dans le présent.

Pendant plusieurs lunes, on n’entendit plus parler de ce principe, ce qui encouragea certains valets des anciens dignitaires, en bons petits singes capables d’épouiller leurs maîtres, de reprendre du service à la Cour, n’hésitant pas, quelquefois, à parler de la revanche des anciens de la Cour du roi Lion, qui, à leurs dires, avaient trop souffert depuis le changement.

Las, ne voilà-t-il pas que le jeune chambellan se lança brusquement, et avec une certaine fougue, dans la dangereuse entreprise d’appliquer ce principe, pour commencer contre un riche corbeau qui étalait cyniquement ses richesses, et en faisait profiter nombre de créatures, notamment ailées, qui avait la fonction de dire les bonnes paroles.

Cela fit beaucoup de bruit dans la jungle où d’un côté, beaucoup de ceux qui étaient ou avaient été proches de la Cour étaient persuadés que les agissements de ces anciens et nouveaux prédateurs indélicats les mettaient en danger, risquant de favoriser une nouvelle levée en masse du petit peuple de la jungle, et d’un autre coté nombre d’animaux de ce petit peuple se mirent à espérer sans trop y croire…

Dans cet apparent unisson derrière le chambellan s’étaient sans doute glissés ceux qui avaient des ambitions autres que la moralité et le droit, certains ayant même monnayé avec les conseillers du renard leur retour au bercail. Mais qu’importe !

Il y avait maintenant un important mouvement pour approuver le chambellan, que le roi faisait mine de soutenir publiquement, tandis qu’avec ses conseillers, et ses puissants alliés, les hyènes, il mettait au point un plan de riposte contre ce « drôle de zèbre ».

C’était, disait-il pour justifier son choix d’un tel chambellan, que, en plus du fait que celui-ci était fortement recommandé par les souverains d’outre-mer, il était apparenté à des chevaux sauvages qui s’étaient distingués, sous le roi Lion par les nombreuses critiques qu’ils avaient exprimées, sans reculer devant les risques d’une telle attitude : le descendant profiterait de la bonne réputation de ses ancêtres et peut-être l’approbation que susciterait cette réputation éclabousserait-elle le pouvoir royal, qui serait plus libre de son action.

Du reste, dans les premiers temps de son élévation, le jeune zèbre n’avait manifesté aucune velléité contraire aux desseins, secrets ou publiquement affichés, du souverain. Celui-ci paraissait habité d’une idée fixe, qu’il voulait réaliser à tout pris : « Oublions les rancunes, renonçons aux vengeances, effaçons tous les mauvais souvenirs du règne de Lion. Faisons en sorte que le peuple de la jungle puisse paisiblement reprendre, comme par le passé, ses activités ordinaires.

Ces activités ne sont-elles pas les bases de l’identité de notre jungle ? » Ce discours avait le plus grand mal à convaincre les animaux. Le renard eut tout de même, après plusieurs mois, un succès partiel au grand conseil, grâce aux concessions qu’il fit à nombre d’animaux influents, au premier rang desquels se trouvaient les hyènes.

Au lieu de le féliciter, comme il se doit, du succès de sa campagne, et de manifester bruyamment son contentement, le chambellan lui porta de sérieux coups, en décidant brusquement que l’offensive de moralisation de la jungle devait alors commencer. Il avait procédé, on l’a dit, à la mise en accusation d’un corbeau assez vilain, certes, qui avait acheté on ne savait comment un titre de baron, et qui faisait vivre et prospérer une nuée de volatiles qui ne tarissaient pas sur sa grandeur et son honnêteté.

On disait de lui qu’il soutenait les hyènes, et qu’il complotait avec des cousins des hyènes qui vivaient sur un territoire proche et dont on ne connaissait pas vraiment les objectifs, apparemment pas totalement amicaux, à l’égard du royaume du renard. Le chambellan sembla ralentir son zèle, mais de temps en temps filtrait une information selon laquelle on avait inquiété tel ou tel personnage : on ne savait si la moralisation se poursuivait ou non.

Le renard continuait de clamer son soutien au zèbre et leur commune détermination à moraliser la jungle. Mais des remarques plutôt aigres du chef des hyènes firent penser à une entreprise de déstabilisation du zèbre, due ouvertement au chef des hyènes, évidemment opposé à toute moralisation, elle lui avait coûté un ami qu’il ne pouvait défendre ouvertement, mais également à son allié, le renard.

De nombreux éléments allaient dans ce sens : une soudaine et solide amitié entre le chef des hyènes et le prétendant au trône, devenu le chef des légitimistes, préfigurait leurs rapports futurs, après le départ, maintenant vraisemblablement proche, du renard pour un monde meilleur ; des critiques très vives se faisaient jour contre le chambellan, et on faisait courir, par le biais de plumitifs étrangers, des bruits concernant le nom d’un nouveau chambellan.

Le roi saisissait, de son côté, toutes les occasions de manifester sa confiance dans le zèbre (peur des alliés d’outre-mer ? se demandait-on), mais il s’efforçait simultanément de réduire son pouvoir, et le chambellan ne laissait rien paraître d’un éventuel mécontentement.

Les attaques de toutes sortes contre le zèbre et ses alliés se multipliaient, on disait que les agents du chambellan, tout comme certains témoins de non-moralité du corbeau risquaient tous les jours leur vie, et il ne manquait même pas des discours de soi-disant légalistes pour critiquer les manières, selon eux peu légales, dont étaient conduites les affaires de moralisation…

Et, dans la confusion ambiante, des animaux qui avaient ouvertement manifesté leur soutien au roi, disaient maintenant leur déception et se retiraient de l’alliance sacrée. Hélas pour eux, ils ne parvenaient pas à entraîner ceux des leurs qui participaient aux repas de la Cour ; et ils n’étaient pas rares, ceux qui préféraient une place au banquet à l’approbation des leurs, ils avaient plutôt tendance à se multiplier.

Pour ajouter à la confusion, les animaux installés dans une jungle lointaine, conviés à envoyer un représentant au Conseil, se défilèrent, et ce fut un vilain petit canard complètement inattendu qui fut désigné par les trois ou quatre animaux qui s’étaient déplacés pour l’occasion. Bref, une chatte (mais qu’aurait fait une chatte dans cette galère?) n’aurait pas retrouvé ses petits au milieu de ce décor de chaises musicales…

L’aigle que ce spectacle commençait à lasser, entrouvrait un œil et, ne voyant encore rien venir, se secouait de temps en temps et ouvrait les ailes avant de survoler brièvement la jungle dont la tranquillité apparente, troublée ça et là, devait recouvrir de sourdes menaces, se disait-il…

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